Cette fois ça y est. Annoncé depuis dix ans sur le marché français, le boom de la croisière est pour demain. Enfin ! Les experts avaient beau tenter d’interpréter la bouderie tricolore, le croisiériste français version « mass market » restait une énigme. On a cherché des coupables : ports de croisières inadaptés, bateaux trop gros, bateaux trop petits, historique plombant, vendeurs pas motivés, clients de mauvaise volonté… Sans vraiment trouver. Un consternant mystère pour les uns : comment résister aux kilomètres de buffets, au spa flottant et au mur d’escalade sur fond outremer ? Une rassurante exception pour les autres : comment en vouloir au bon Gaulois, toujours prompt à se distinguer de ses voisins européens, ou mieux, de ses cousins américains, grands amateurs de megaships ?
Mais tout change. Marseille se rêve en Gênes ou Barcelone. Et les paquebots à 500 millions d’euros sortent des chantiers comme les Twingo des usines. Résultat, le mythe du client hexagonal récalcitrant a du plomb dans l’aile : les prévisions tablent sur une fréquentation de + 20 % l’an prochain et + 100 % d’ici à 2010 ! De quoi affoler la boussole des connaisseurs du passager français, réputé pas grégaire, pas dépensier, pas content. Pas le genre à se mêler aux Espagnols hilares en sortie de discothèque, ni à flamber au casino avec une bande d’Italiens en lune de miel. Et pourtant… Finalement, on le découvre adepte de l’animation à gogo et de la déco qui décoiffe, sur des navires de 3 000 pax, plus Romeo by Claude Dalle que Maisons Côté Sud, le style à faire claquer les camaïeux de violets sur les moquettes et rutiler les chromes à tous les étages. Ça surprend, ça amuse, ça plaît.
Au même moment, l’ex-France fait la joie des ferrailleurs sur une plage indienne, tandis que l’ex-Mermoz coule une retraite paisible sous un nouveau nom. Deux carrières notoires, qui cessent enfin de jouer les boulets de première classe, sur l’air du cliché nostalgique (ne m’appelez plus jamais France, la France elle m’a… etc). La croisière dernière génération n’en a pas fini pour autant avec les vieux navires, à condition de céder à la fièvre du hard-discount : un coup de peinture et ça repart, prix mini, itinéraire maxi. C’est sûr que Capri-c’est-fini/voir-Naples-et-mourir/Venise-cité-des-amoureux/Moi-tout-nu-dans-les-îles-grecques, le tout à 600 euros les 11 jours, ça fait réfléchir… Pour les agences, c’est pas le moment de jeter l’ancre. Face à la grande distribution et aux opérateurs en ligne spécialisés, la bataille navale est loin d’être perdue. Les outils sont prêts pour partir à la pêche au client (résa B to B, Amadeus Cruise, affiliation en marques blanches) et les commissions toujours dodues. On l’a assez répété : agence de quartier + fidélisation en ligne = arme fatale. Et vogue le navire…