
Portrait : « Je vous parle d’un temps où les jeunes qui travaillent aujourd’hui dans le secteur du tourisme ne peuvent pas connaître… »
La guerre du Golfe de 1990 à 1991, le choc pétrolier de 2008, le 11 septembre 2001, l'éclatement de la bulle internet et le krach boursier de 2001-2002, l’épidémie du Sras en 2003, le tsunami en 2004, le choc pétrolier et la crise des subprimes en 2008, le volcan islandais en 2010, le début du mouvement ‘’flygskam’’ (la honte de prendre l’avion) en 2018, l'épidémie de Coronavirus de 2019/2020 et l’on ne parle pas des multiples grèves des pilotes, des aiguilleurs du ciel, du personnel des aéroports…
Jean Pierre Sauvage a tout connu et pourtant jamais personne ne l’a vu perdre ses nerfs, gardant à chaque instant la maîtrise de ses propos toujours courtois, mais ferme… le calme des vieilles troupes !
« L'humilité est la force tranquille qui nous permet de voir au-delà de notre ego et de grandir en apprenant des autres. » Jaë L Phania
Surtout, ne lui racontez pas de ‘’craques’’. Titulaire d'une maîtrise de Droit des Affaires, Jean Pierre Sauvage a effectué toute sa carrière dans le secteur du transport aérien. Il en connaît donc tous les rouages…
Après avoir exercé la fonction de contrôleur aérien militaire, il commence sa carrière commerciale en 1965 à Aéroports de Paris comme Superviseur assistance compagnies puis à l’aéroport du Bourget.
Il aime à rappeler le bon temps où, dans les années soixante, en raison des limites opérationnelles de certains avions opérant sur l’atlantique nord « il fallait alors peser chaque client pour avoir une indication précise du poids transporté dans l’appareil. Je vous laisse imaginer ce moment qui se transformait souvent en une forme de happening ludique auquel tous les participants se prêtaient de bonne humeur. »
C’est aussi au Bourget qu’il a assisté lors du salon biennal, le premier vol public du Concorde et d’avoir côtoyé Youri Gagarine, le premier astronaute lors d’une rencontre impromptue au restaurant d’entreprise de l’aéroport. De beaux souvenirs !
En 1969, il rejoint la compagnie Iberia comme ‘’Superviseur trafic Iberia’’ toujours à l'Aéroport du Bourget. À cette époque le Bourget était bien connu des professionnels du tourisme, qui s’y donnaient rendez-vous très tôt le samedi matin pour assurer les départs de charters notamment vers les Baléares. Quand il s’agissait de parler d’assistance, ce n’était pas un vain mot : savoir guider les groupes de voyageurs sur le tarmac, jusqu’à l’intérieur de l’avion, le plus souvent un Convair 990 Coronado de Spantax (acronyme de Spanish Air Taxis)
Chef d'escale à l'Aéroport de Lyon-Bron en 1970, Jean Pierre devient Directeur Fret France en 1973, avant de prendre la responsabilité de la direction commerciale d’Iberia en 1978.
1978, c’est aussi , après le premier choc pétrolier de 1973 aux effets économiques néfastes, le début du consumérisme avec la loi dite loi Scrivener relative à l'information et à la protection des consommateurs. C’est aussi le début de la pollution avec la marée noire en Bretagne due au naufrage du pétrolier géant Amoco Cadiz, l’attentat le 20 mai à l'aéroport d'Orly où trois terroristes palestiniens tentent de fomenter une tuerie de masse au sein de l’aéroport contre des passagers se rendant en Israël, l’attentat du château de Versailles revendiqué par le Front de libération de la Bretagne et la prise d'otages à l'ambassade d'Irak à Paris.
L’année 1978 c’est aussi l’ayatollah Khomeiny, opposant au Chah d’Iran, qui trouve refuge en France à Neauphle-le-Château, la manifestation antinucléaire à Brest contre le projet de la centrale de Plogoff, la création du système monétaire européen (SME) et la présentation du rapport Nora-Minc sur « l'informatisation de la société » …
Bref, déjà un florilège de ce qui va se passer et continuer dans l’avenir, on ne peut pas rêver mieux pour une première…
Heureusement pour Jean Pierre, en 1978, c’est la première diffusion du tirage du Loto à la télévision, la loi généralisant la mensualisation de la paie et une année sans grève des transports…
À ce poste de Directeur Commercial, numéro 2 de la Compagnie, il sera la véritable ‘’cheville ouvrière’’ de la montée en puissance de la compagnie Iberia. Bourreau de travail, il est partout présent, à l’interne comme à l’externe, mais toujours avec discrétion et efficacité.
Les Directeurs généraux envoyés par Madrid passent et repassent, mais lui reste toujours là, l’interlocuteur privilégié des agents de voyages et des tour-operators, comme des Institutionnels et des Ministres des Transports (il en a connu plus d’une dizaine de droite comme de gauche) ferraillant en permanence contre les taxes des aéroports qui augmentent sans cesse
Il se forge alors sa réputation : celle d’un homme affable, mais coriace en négociation, celle d’un homme droit et juste, indépendant de tout clan, insensible aux flatteries et aux pressions de tout bord.
En 2000, la consécration. Il est nommé Directeur Général d'Iberia France, fonction qu'il assumera jusqu'en 2011 jusqu’à la fusion avec British Airways dans le groupe IAG. Promotion bien méritée, d’autant plus, qu’à ma connaissance, c’est la première fois, du moins en France, qu’une compagnie aérienne autre que française, nomme à sa tête un français plutôt qu’un DG de la même nationalité que la Compagnie.
Même si cela ne lui monte pas à la tête, cela le conforte dans son image de ‘’l’homme de l’aérien’’.
Pendant toutes ces années, Jean Pierre a participé au formidable développement de la compagnie Iberia. Ce développement passera par la diversification en prenant des prises de participations dans Aviaco, Viva Air, Binter Canarias, Aerolineas Argentinas, Viasa - la compagnie du Venezuela et Ladeco (Chili). Dans le même temps, Ibéria modernisera totalement sa flotte, lui permettant de réussir sa privatisation en 2001.
Malgré des allées et retours incessants entre Paris et Madrid, son implication et son expertise dans le développement et la réussite de la compagnie, font de Jean Pierre Sauvage un acteur incontournable de la galaxie aérienne.
Ainsi on le retrouve : Membre du Conseil supérieur de l'Aviation civile, membre de la Commission consultative du Budget annexe de l'Aviation Civile, Membre des commissions consultatives économiques d'ADP et des aéroports de Nice-Toulouse-Bordeaux, membre des commissions consultatives de l'environnement des aéroports de CDG et Orly, membre de la Commission administrative de l'Aviation Civile, Vice-président du Club du transport aérien( CEPS -Club étude et prospective stratégique), membre du Conseil d'administration d'Acting for life ( ONG du secteur aérien pour l’aide aux populations des pays en voie de développement)… plus que jamais Jean Pierre est considéré comme ‘’l’Air Man’’ et ce n’est pas pour rien que ses pairs en 2000, le nomment Président du BAR France (Board of Airline Representatives), association qui regroupe 110 compagnies aériennes de tous les horizons, françaises, européennes et internationales, de tous les continents.
2011, une page d'histoire se tourne chez Iberia France. Jean-Pierre Sauvage, après 41 ans au service de la Compagnie, fait valoir ses droits à la retraite en début d'année. À souligner que l’année précédente il a guidé son successeur en lui transmettant sans aucun doute les codes secrets du marché français, tant il en connaissait les arcanes et les rouages. L’altruisme : une autre facette peut être trop méconnue du personnage.
En 2013, le Ministre des Transports Fréderic Cuvillier honore Jean-Pierre Sauvage, en le promouvant au grade d’officier dans l’ordre de la Légion d’Honneur après avoir reçu 10 ans plus tôt les insignes de chevalier remis par Dominique Bussereau détenteur du même maroquin ministériel.
Quand on demande, à Jean Pierre Sauvage : quel est son plus beau souvenir de voyages, il nous répond : « mon premier voyage intercontinental reliant Le Bourget (déjà) à Saigon en mai 1954 pour y rejoindre mon père alors chargé du département Publicité chez Havas. Le parcours effectué sur un Boeing stratoliner d'Aigle Azur, eh oui la compagnie fondée par Floirat en même temps qu'Europe 1 d'ailleurs et qui opéré la ligne avec les escales suivantes et deux night stops Paris/Brindisi/Bahrein/Karachi (premier night stop) /Rangoon (deuxième night stop) pour arriver à Saigon après un périple de plus de 48 heures. Presque une aventure de pionnier. »
Sa plus grande fierté : « sa famille, ses 4 enfants et 10 petits enfants. »
Sa plus grande angoisse : « ayant toujours confiance dans l’avenir pas d’angoisse particulière si ce n’est deux grands sujets de réflexion le premier se rapportant au dérèglement climatique et le second le développement de l’IA et par voie de conséquence une interrogation cruciale sur les conséquences socio-économiques et philosophiques pour l’homme face au robot qu’il a créé.
Une nouvelle version de 2001 Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick (1968) avec un clone de HAL devenu fou et qu’il a fallu euthanasier ! »
Aujourd’hui, Jean Pierre se pose la question de savoir s’il rempile ou non à la présidence du BAR, comme semble le souhaiter d’ailleurs la majorité de ses membres.
Si je peux me permettre de lui donner un conseil, je lui rappellerai cette phrase tirée des ‘’Mémoires’’ du Cardinal de Retz : « L’expérience nous fait connaître que tout ce qui est incroyable n’est pas faux. »
Et Dieu sait que Jean-Pierre Sauvage en a connu des moments incroyables !