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Cabarets, passage en revues

Marché | publié le : 01.03.2020 | Dernière Mise à jour : 09.03.2020

Auteur

  • Valérie Appert

Non seulement les cabarets séduisent toujours autant les seniors mais voilà qu’ils plaisent aussi aux trentenaires. On doit en partie ce rajeunissement de la culture cabaret aux nouvelles revues parisiennes. Elles ont su intégrer les technologies les plus innovantes et la diversité des styles artistiques. En régions, les revues se suivent, sans se ressembler. Les établissements, même les plus isolés, bousculent les codes et inventent des concepts. La soirée cabaret? Une sortie qui fait assurément le grand écart entre la tradition et le XXIe siècle.

Du rond-point de province à la scène du Moulin Rouge ou du Lido, il n’y a qu’un pas que l’actualité a franchi allègrement en 2019. Avec la crise des « gilets jaunes », puis avec les grèves de décembre dernier, les cabarets ont enchaîné des périodes agitées. Mais le cabaret est à la France ce que le bateau à voile de son blason est à la ville de Paris: un symbole qui tangue mais ne sombre jamais. Le Moulin Rouge affiche ainsi un taux de remplissage de 92 % et une fréquentation en hausse de 10 % par rapport à 2017.

La proportion de groupes est passée de 48 % pour la saison 2017/2018 à 52 % l’année dernière, annonce, de son côté, le Royal Palace, le plus grand établissement de province, situé en Alsace. Pour Daniel Stevens, délégué général du Camulc (Syndicat national des cabarets, music-halls et lieux de création), « le cabaret séduit encore car c’est un univers tout à fait particulier, avec une ambiance cocooning et conviviale, il est particulièrement adapté à la sortie en groupe, puisque c’est le lieu où l’on rit et dîne ensemble ». En juin 2019, les Rencontres nationales des cabarets, organisées par le syndicat, ont rassemblé près de 150 personnalités du monde de la culture qui se sont accordées sur les particularités des cabarets: lieux de toutes les esthétiques, de liberté et de diversité, fédérateurs et intergénérationnels, susceptibles de transmettre les savoir-faire historiques d’une dizaine de métiers d’art, du bottier au plumassier. Des tendances assumées aussi bien par le trio de tête des cabarets, Moulin Rouge, Lido et Paradis Latin, que par la douzaine de lieux parisiens aux jauges plus intimistes.

En mai 2019, l’actualité parisienne des cabarets a toutefois été dominée par le lancement de la nouvelle revue du Paradis Latin, « L’Oiseau Paradis ». Un événement dans le landerneau de ces institutions du spectacle, tant les revues sont onéreuses et longues à rentabiliser. Confiée au chorégraphe Kamel Ouali, la mise en scène de l’œuvre fait la part belle aux innovations technologiques: écrans led, mapping, effets de jeu vidéo, cadre de scène qui s’anime et avec lequel les artistes interagissent. « Cette ambition technologique n’est pas la seule nouveauté de la revue, précise Luiz de Luca Moreira, responsable des ventes au Paradis Latin. Le spectacle prône aussi l’image d’une femme puissante et la diversité ethnique de nos artistes. Ils ne sont plus issus d’une seule formation classique ou jazz mais ils ont des compétences en hip-hop ou en acrobatie. Ce nouveau style ne renonce pas pour autant aux codes du Paradis Latin: le traditionnel final en blanc, le french cancan et l’incontournable préshow qui favorise le contact avec les artistes. » De quoi séduire une nouvelle clientèle? « C’était notre intention, mais on ne s’attendait pas à un tel succès, reprend Luiz de Luca Moreira. Les 25-40 ans qui n’allaient jamais au cabaret commencent aujourd’hui par le Paradis Latin. »

Les cabarets stars voient grand

En 2015, le Lido avait ouvert la brèche en lançant « Paris Merveilles », spectacle novateur mené par une chanteuse atypique, issue de « The Voice » 2014. « Le Lido a su renouveler le genre », nous souffle-t-on du côté de l’établissement des Champs-Élysées, « et renouer avec l’avant-gardisme qui a fait sa réputation ». Le metteur en scène de shows internationaux Franco Dragone a démultiplié l’espace grâce à un immense écran led et des projections au sol. Gigantisme aussi du côté des nouveaux décors (un grand escalier Art nouveau, un lustre de 12 mètres de haut) et des costumes, comme ces robes en fibre optique ou la crinoline démesurée de la meneuse de revue. « “Paris Merveilles” a fait revenir les Français et les Parisiens sans décourager les aficionados. » Dans le presque demi-million de spectateurs annuels du Lido, les groupes bénéficient toujours d’un accueil privilégié avant l’arrivée du public: au choix, apéritif dans le salon Bluebell, accès à la scène pour un discours… Les groupes les plus importants privatisent la deuxième partie de nuit pour une soirée dansante. Au Paradis Latin, on met tout autant les petits plats dans les grands. Mais au sens propre également puisque depuis janvier 2020, le cabaret du 5e arrondissement a signé un contrat avec Guy Savoy pour des menus gastronomiques présentés dans un service de table entièrement renouvelé. « Quant aux groupes, reprend Luiz de Luca Moreira, afin de pallier le manque d’espace pour leurs autocars dans le quartier, nous avons créé un partenariat avec une chaîne d’hôtels (cinq établissements autour de Paris). Puis lancé une brochure avec des idées de séjours combinant le spectacle du Paradis Latin et un événement fort: la découverte de Vaux-le-Vicomte, la visite du Salon de l’agriculture… »

En région, des cabarets qui irriguent le territoire

En région, les cabarets ne gardent pas les deux pieds dans le même chausson de danse. Le renouvellement est aussi le mot d’ordre de ces établissements où de nouvelles revues sont programmées tous les ans ou tous les deux ans, pour ne pas lasser une clientèle locale et fidèle. Ces salles de province, qui reprennent les codes traditionnels de la décoration des cabarets avec une touche personnelle, sont souvent construites en périphérie des agglomérations, avec de grands parkings adaptés aux autocars, comme L’Élégance, entre Lyon et Clermont-Ferrand, ou le Royal Palace de Kirrwiller, à 30 km de Strasbourg, classé dans le top 3 des cabarets français. Mais aussi Le Tapis Rouge près de Limoges, ou L’Ange Bleu à Gauriaguet, à une trentaine de kilomètres de Bordeaux. Avec ses 100 000 spectateurs par an, ce cabaret familial s’appuie sur l’attraction de la métropole bordelaise pour se développer. Épaulée par son agence commerciale, Aquitour’s, L’Ange Bleu programme à l’attention des agences et des autocaristes des packages d’un jour, dont une formule dégustation chez un viticulteur/déjeuner-spectacle au cabaret.

Le Moulin des Roches de Saint-Orens, près de Toulouse, est quant à lui le plus grand cabaret d’Occitanie: 400 places, une scène de 13 mètres d’ouverture, « des trappes électroniques et des vérins hydrauliques pour les plateformes, des écrans qui descendent du plafond, énumère Rodolphe Viaud, chorégraphe attitré de l’établissement. Et surtout un gros travail de scénario, car il faut théâtraliser les spectacles pour que le public ne s’ennuie pas, tout en restant dans un esprit sexy et déshabillé. Nous récupérons ainsi une clientèle toulousaine, plus jeune, dont les 25-30 ans, habitués au théâtre et aux comédies musicales et qui peuvent s’offrir de telles soirées. Le cabaret s’ouvre aux jeunes, ce qui n’était pas le cas il y a dix ans. »

Voulez-Vous, lui, a carrément développé un concept de cabarets qui fonctionne comme une marque, avec deux établissements (à Ingré, près d’Orléans, et à Anse, dans le Grand Lyon) et sept spectacles à l’affiche. Un troisième établissement sera inauguré en septembre prochain à Bergerac!

Le cabaret originel d’Ingré fait office de lieu de recherche et de développement où se rodent les spectacles. Créés par de jeunes artistes issus de l’univers des technologies multimédias et des musiques actuelles, ces cabarets ont été les premiers à s’affranchir des codes traditionnels de la revue en osant dans leurs superproductions tous les outils technologiques susceptibles de transformer la scène en écran vivant et interactif (vidéo repérée, hologrammes, mapping, effets spéciaux).

Si les spectacles signatures (« Utopia » et « Prophécy ») sont résolument contemporains, Voulez-Vous sait aussi produire pour un public senior et cœur de cible des revues traditionnelles, mais dépoussiérées, dans la cohérence de l’esprit maison. « On a beaucoup travaillé sur l’idée d’un cabaret pour tous les âges et pour tous les goûts… mais sans mélanger les publics. Les groupes représentent environ 70 % de nos spectateurs », explique Laurent Descaves, directeur des salles et metteur en scène, qui célèbre une belle saison avec un chiffre d’affaires en progression de 30 % et une fréquentation qui a augmenté de près de 40 %. « Le modèle que nous avons imaginé donne des résultats intéressants. L’ouverture de nouveaux établissements sur le territoire national va donc s’intensifier dans les prochaines années. Et nous avons même des vues sur Montréal! »

Établissements de nos campagnes

Derrière la façade de ces cabarets de région, ou même de rase campagne, se profilent souvent des familles en pleine reconversion. L’histoire la plus champêtre reste sans doute celle des Folies Fermières à Garrigues. Issu d’une quatrième génération d’agriculteurs, David Caumette s’est donné pour tâche de sauver la ferme familiale, en développant d’abord un concept de ferme-auberge (« Le spectacle était dans l’assiette! » ), puis un vrai cabaret de 100 places avec des déjeuners-spectacles où le service à table est assuré par les producteurs de la région. « Le public urbain est surpris par la qualité de l’assiette, le public de campagne par la qualité du spectacle! » explique David Caumette, soucieux de la dimension responsable de l’opération, puisque le public apporte ainsi son soutien à la sauvegarde du dernier élevage de la commune. « On nous demandait aussi de visiter l’exploitation. J’ai acquis un petit train touristique de bord de mer, je l’ai attelé à un tracteur et nous invitons le public à découvrir notre domaine. Le tracto-train peut accueillir un autocar entier. » L’expérience des Folies Fermières a inspiré un livre et il se chuchote qu’un film est dans les tuyaux, dans la veine (quoique plus optimiste!) de Au nom de la terre.

À découvrir

Le Grand Cabaret, le Nord célébré

Un vrai cabaret de région, au bon sens du terme. Implanté près de Cassel (village préféré des Français), à égale distance de Lille, Lens et Dunkerque, le Grand Cabaret de Vieux Berquin s’adresse à une clientèle qui vient à 80 % des Hauts-de-France ou des territoires limitrophes. En un mot: le Nord, que ce cabaret de 1 500 m2 revendique comme identité. Du moins dans ses revues où se glisse toujours une touche de folklore. Patrice Chevalier, fondateur et gestionnaire de l’établissement, met un point d’honneur « à faire de la création pure, sans french cancan ni chanson à la “New York New York” ». En 2019, cette institution des Hauts-de-France s’est dotée de nouveaux espaces de réception dédiés à l’événement professionnel, dont une salle de séminaire format théâtre d’une capacité de 150 personnes.

La Ruche Gourmande, histoire de famille

Premier cabaret de Bourgogne, La Ruche Gourmande est une adresse connue pour ses produits maison servis à table et ses spectacles créés en famille. Il y a plus de vingt ans, Catherine et Luc Soulard tenaient dans la petite commune de Perreux-en-Puisaye un restaurant de 30 couverts. Un jeune couple leur propose d’y donner un spectacle: on pousse les tables, les chaises, la grange se fait salle de spectacle, l’initiative plaît… « Nous n’étions pas les premiers à monter un cabaret en région, mais à ce point perdu dans la campagne, si », se souvient Luc Soulard. Depuis, La Ruche Gourmande a bien grandi: une salle de 330 places, un lounge convertible en dance-floor et une salle de restaurant. Depuis septembre 2019, « Folles rêveries » tient l’affiche, une adaptation en comédie musicale du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare.

Le Cabaret du bout des Prés, entre la ville et les champs

Ce cabaret situé dans la vallée de Chevreuse est installé dans une grange du XVIIe siècle qu’en 2011, Tony Bastian et Amandine Boulard ont métamorphosé en une salle de 200 places, toute de pierres et de poutres apparentes. En 2020, la revue, traditionnelle, est mixée avec les codes de la comédie musicale, « ce qui a permis de rajeunir la clientèle ». Si le cabaret comptabilise plus de 6 000 spectateurs depuis septembre, en provenance de Chartres, du Mans ou de la région parisienne, il reçoit aussi des touristes qui associent déjeuner-spectacle et visites des châteaux. Pour développer son établissement, logé à la fois en pleine campagne et à 40 minutes de Paris, Tony Bastian envisage de monter des partenariats avec des autocaristes afin d’établir un système de navettes entre les villes les plus proches et le cabaret. « Les spectateurs seront pris en charge dès 20 h 30, retour vers 1 heure du matin et frais de transport compris dans le tarif de la soirée. »

L’Artishow, le cabaret transformiste qui compte

L’Artishow est un temple parisien du transformisme, art de l’imitation où des artistes masculins travaillent la ressemblance féminine. Sa troupe, installée depuis quinze ans dans le 11e arrondissement, le pratique à sa manière, avec un aréopage de personnalités évoquées de façon bluffante ou croquées avec un humour décapant. L’Artishow a aussi ses propres personnages, devenus emblématiques, qui entretiennent une complicité évidente avec la salle. Dans ce cabaret, monté par une bande de copains, le public est accueilli par de voluptueuses créatures qui assurent aussi le service à table.

En chiffres

→ Lido: environ 500 000 spectateurs par an, dont 30 % de groupes.

→ Paradis Latin: 110 000 clients

→ Le Crazy Horse: 120 000 clients

→ Moulin Rouge: 500 000 spectateurs en 2018 (dont 35 % de groupe).

→ Royal Palace: 176 438 clients, de septembre 2018 à juin 2019.

→ L’Ange Bleu (Gironde): environ 100 000 spectateurs (dont 50 % de groupes).

→ Cabaret Élégance (Loire): 30 000 spectateurs, en provenance des régions Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté.

→ Le Cabaret du Bout des Prés (les Yvelines): 8 000 spectateurs estimés pour la saison septembre 2019/juin 2020 (dont 60 % de groupes, 120 pers. en moyenne par spectacle).

→ Les Folies Fermières (Tarn): entre 4 000 et 5 000 spectateurs (dont 50 % hors Occitanie).

→ Le Moulin des Roches (Haute-Garonne): NC

→ Les Voulez-Vous: 20 886 spectateurs en 2018/2019, tous établissements confondus, 15 480 en 2017/2018.

→ Le Grand Cabaret (Hauts-de-France): 12 800 personnes (dont 80 % de groupes) sur la saison 2018/2019.

Les indispensables

Le Moulin rouge, de l’atelier d’art au parc d’attractions

À défaut de lancer une nouvelle revue (« Féérie » fête ses vingt ans cette année!), ce cabaret immortel derrière sa façade iconique évolue peu à peu au fil des ans. Il a d’abord racheté de grandes maisons d’artisanat d’art qui assurent le renouvellement des costumes. Puis recruté en 2015 son propre chef cuisinier, David Le Quellec, pour produire sur place les 600 dîners quotidiens, ainsi qu’un chef pâtissier. Seul cabaret au monde à être référencé dans un guide gastronomique, il a obtenu deux macarons et une note de 14/20 dans la dernière édition du Gault &Millau. En 2018, le Moulin Rouge a collaboré (une première!) avec un parc d’attractions en « prêtant » sa façade emblématique au grand huit d’Europa Parc, en Allemagne.

Le Crazy Horse, nu et culotté

Temple du spectacle de nu glamour et chic, le cabaret du 8e arrondissement invite régulièrement pour une poignée de dates des guest-stars. En juin 2019, c’est Viktoria Modesta, une artiste-performeuse amputée sous le genou, à la féminité hors norme et indiscutable, qui a enflammé les planches du Crazy Horse. En 2020, le cabaret se focalise sur sa revue « Totally Crazy » qui résume 65 ans de création à travers la reprise de ses tableaux iconiques. Contrairement à la plupart de ses confrères, le Crazy Horse ne propose pas de dîner sur place mais organise pour les groupes des partenariats avec les croisières des Bateaux-Mouches ou des restaurants du quartier. Son nouvel atout: une « Crazy Experience ». Cette visite privilégiée dans le sillage d’une danseuse, suivie d’un cocktail, permet de découvrir les petites histoires secrètes du cabaret. À programmer en semaine, avant le spectacle, pour de petits groupes. En 2021, le Crazy Horse fêtera ses 70 ans.

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