Depuis quelques années, le divorce est à peu près consommé entre les professionnels du Tourisme de Groupe et les élus de Paris. Cette table ronde était animée par Bruno Courtin, rédacteur en chef de Bus & Car Tourisme de Groupe, en présence de Cyril Darbier, pdg de Darbier Voyages (45) et président de la commission tourisme de la FNTV, et Guy Lecuyer, président des Autocars Fournier (14). La Mairie et l’OT de Paris, également invités à ce débat, nous ont fait savoir assez tardivement qu’ils ne pouvaient pas être présents.
> Cyril Darbier, pdg de Darbier Voyages (45): À son arrivée à la Mairie de Paris (NDLR: en 2014), madame Anne Hidalgo a établi une feuille de route qui annonçait la couleur sur son envie de voir disparaître ce qu’elle considérait comme une nuisance, les autocars comme une pollution visuelle, olfactive et ainsi de suite. Il est vrai qu’il y avait des pratiques qui étaient peut-être délicates à vivre pour les Parisiens avec des moteurs en route, véhicule à l’arrêt. Nous avions des motorisations qui, pour certaines nationalités, étaient relativement anciennes et avec des organes de filtration beaucoup moins efficaces que ce que nous avons aujourd’hui. Reste que pour nous, la démarche, au niveau de la profession, des motoristes et des constructeurs, était enclenchée bien avant cela. Les normes Euro poids lourds ont été fixées. Et avant que l’équipe de Paris se mette en place, nous avions en vue la COP 21 où la France se devait d’être démonstrative sur sa manière de gérer l’écologie et la notion de pollution. La Mairie de Paris a été pointée du doigt par l’Union européenne sur son défaut d’avancée sur ce dossier de gestion de la pollution, et ils ont donc trouvé en argumentaire électoral, mais aussi ensuite, un bouc émissaire avec ces autocars qui, de toute façon, n’étaient pas utiles aux Parisiens.
> C.D.: Nous avions en route une négociation avec les services de la voirie. Il y avait de toute façon la nécessité de sortir de Paris les véhicules les plus polluants, jusqu’aux normes Euro 3. Nous étions favorables à démontrer notre capacité à être davantage vertueux. En 2016, suite à notre manifestation, il n’était pas prévu que nous soyons reçus mais nous avons insisté et nous avons finalement été reçus à l’Hôtel de Ville. Nous avons évoqué les facilitations nécessaires, notamment le statut d’abonné qui permettait d’avoir une facturation des parkings autocar en fonction de la norme Euro. Plus on était vertueux, moins le coût était important.
> C.D.: Selon des déclarations récentes, les autocars ne représenteraient que 8 % des touristes, et donc ce ne serait qu’une quantité négligeable. Pour nous, pour l’instant, les relations sont encore ouvertes, nous avons la compréhension logique de notre gestion des flux touristiques puisque le tourisme de groupe reste une activité forte sur Paris, même si ça n’intéresse pas l’actuelle municipalité. Maintenant on ne peut pas jouir de la manne financière que représentent les consommations sur Paris sans en subir les conséquences. Il faut être responsable.
Vous avez l’équivalent du Parc des Princes en permanence à bord de nos véhicules. On sait que les soirs de match il y a des saturations dans les transports en commun… Il faut être conscient de cela, ils n’en avaient peut-être pas connaissance. En tout cas, certains candidats aux prochaines élections ont compris que la notion du flux géré par les autocaristes permet d’accompagner l’ensemble de ces visiteurs dans les meilleures conditions possible, surtout dans des conditions de sécurité.
> Guy Lecuyer, président des Autocars Fournier (14): Plus on avance dans le temps, si je prends le cas des escales de paquebots qui ont lieu sur Honfleur et Le Havre, ce qui représente tout de même 200 journées d’escales par an, avec des gros paquebots qui peuvent aller de 2 000 à 6 000 passagers, de moins en moins de cars sur ces paquebots viennent sur Paris. Ainsi, de plus en plus, nos passagers restent sur Giverny, Rouen, Étretat, Fécamp, Honfleur, Deauville, le Mémorial de Caen, les plages du Débarquement, le Mont-Saint-Michel. Et si on revient à 15 ou 20 ans en arrière où j’ai organisé des transports pour des escales de paquebots, on avait 27 ou 30 cars par escale qui montaient sur Paris. Maintenant, nous avons seulement 12 à 15 cars qui montent sur Paris et le différentiel reste sur la Normandie, voire, ne sort pas du tout du paquebot. Ce sont donc des gens qui ne voyageront pas sur les bateaux parisiens, qui n’iront pas dans un cabaret et dans un restaurant, voir la Tour Eiffel, au Louvre ni au musée d’Orsay. Après, nous, on a aussi dans notre activité, puisque nous sommes relativement près de Paris, beaucoup de prises en charge de passagers sur Roissy qui se rendent sur la Normandie. Autrefois, ces gens-là restaient une, voire deux nuits sur Paris. Maintenant, nous les prenons sur Roissy au vol provenant des États-Unis et nous les emmenons directement sur la Normandie, via Giverny puis au point de séjour. Et quand ils finissent, nous les ramenons directement à Roissy. Et le lendemain, ils repartent sur les États-Unis, ils ne passent plus du tout par Paris.
> C.D.: Tous les autocaristes sensibilisent leurs clients sur l’incidence du coût, sur l’ensemble des travaux qui ont aussi beaucoup contraint la fluidité de nos interventions, sans pouvoir emprunter les voies réservées aux bus de la RATP. Nous n’exigeons pas l’ensemble des voies de bus, il y a certaines voies de dégagement qui permettraient d’aller plus vite et de moins engorger la circulation.
> G.L.: Le passager lambda ne le perçoit pas forcément. Nous avons travaillé sur le renouvellement des autocars pour passer le plus vite à l’Euro 6 et puis nous avons signé la charte CO2 aussi. Pour nous c’est un engagement, mais pour le client qui voit le petit autocollant à l’arrière du car, ça ne parle pas vraiment.
> C.D.: Nous sommes dans des chiffres techniques, la norme Euro 6 n’est pas la même pour des véhicules VL que pour des poids lourds. Reste qu’aujourd’hui, un véhicule poids lourds Euro 6 émet deux fois moins de particules qu’un VL Euro 6. Nos véhicules consomment comme cinq voitures, donc si on multiplie l’efficacité énergétique (NDLR: en regard de nombre de personnes embarquées), un autocar pollue dix fois moins qu’une voiture. Et à côté de ça, nous remplaçons trente voitures en moyenne. Donc l’aspect vertueux écologique, même avec des véhicules diesel, est là. En trente ans, nous avons divisé par trente nos émissions.
> C.D.: Encore une fois, il faut être responsable. Le mode lourd du Grand Paris à échéance 2024 ne sera pas prêt. Les flux vont être colossaux, il va falloir accompagner ces flux et la solution autocar sera sur les rangs. Le Comité d’organisation, de toute façon, prend déjà ses contacts actuellement. Que ce soit pour les journalistes, les supporters, les délégations, et les sportifs entre les villages, il y a une logique de flux à gérer. La destination Paris, par sa communication, a de plus en plus de succès. Les nations émergentes préfèrent et privilégient le transport en groupe, pour la barrière de la langue, la culture, les services, etc. Les arguments sont là. La destination Paris est évidemment une destination phare du tourisme mondial, à nous de savoir travailler ensemble et pas les uns contre les autres. Nous, en tout cas, nous prenons très au sérieux notre rôle. Paris est magnifique, Paris mérite son succès, mais il faut gérer ce flux. L’autocar est une solution, pas un problème.
Par l’intermédiaire de la FNTV, accompagnée à l’époque de l’UNOSTRA (Union nationale des organisations syndicales des transports routiers automobiles), l’OTRE (Organisation des transporteurs routiers européens) et l’IRU (Organisation mondiale des transports routiers), les autocaristes se sont mobilisés le 20 décembre 2016 pour se faire entendre auprès de la Mairie de Paris. Deux inquiétudes légitimaient cette action qui a tout de même réuni 300 autocars dans la capitale: tout d’abord le sort des véhicules diesel dans la capitale à l’horizon 2020, ensuite la hausse prononcée des tarifs de stationnement. La Mairie de Paris a ainsi été contrainte de rouvrir sa porte aux discussions sur le devenir, au-delà de 2020, des autocars de tourisme diesel aux normes Euro 5 et 6 dans ses rues (pour rappel, l’interdiction de circulation dans Paris des véhicules Euro 3 date de juillet 2017, et celle des Euro 4 de juillet 2018).