Comment se comportent les clients sur ce marché très spécifique des jeunes? Est-ce aujourd’hui un marché en mutation? Et quelles en sont ses segmentations, ses nouvelles directions?
« Les voyages forment la jeunesse », vous connaissez le proverbe, mais les voyages à destination de cette clientèle forment-ils finalement une opportunité intéressante de business pour les entreprises du tourisme? Sans faire ici, un état des lieux complet de ce marché, les participants à Tour & Group ont pu partager, avec transparence, leur expérience.
« Pour nous, au départ, le but du voyage scolaire c’était quand même de faire rouler les véhicules de tourisme qui ne tournaient pas, dans des périodes très calmes, notamment de février à avril », explique Yves Verdié, pdg du groupe Verdié Voyages. « C’est très saisonnier si l’on s’intéresse au voyage éducatif en mini-séjour. La périodicité est très courte, mais cela nous aidait bien à niveler l’activité des autocars. Ensuite, c’est devenu une vraie activité. C’est un marché qui m’a toujours un peu étonné car depuis 30 ans, on vend les mêmes produits, il y a eu très peu d’évolution. Ce sont à peu près les mêmes séjours. Cela correspond à une clientèle qui est très stable, qui recherche à peu près la même chose. C’est un marché mature, qui n’évolue pas beaucoup. Tous les établissements scolaires sont habitués à faire les mêmes voyages. Je n’ai pas les statistiques en tête, mais je pense que le marché ne progresse plus. Après, on peut évidemment prendre des parts de marché chez le concurrent. Reste que même si ce sont les mêmes produits, dans notre entreprise, nous avons évolué. Nous avons un gros service qui s’occupe spécifiquement de ce secteur. Nous avons mis en place des outils pour les clients, comme des extranets. Un vrai travail de préparation, de commercialisation et de relation. »
Pour Michael Brugeas, directeur d’Eole Loisirs, on constate néanmoins une baisse d’activité, mais cette fois sur le segment des colonies de vacances. « Nous sommes loin des colonies de vacances du début des années 1990. Il y a eu une augmentation du prix, car il y a 25 ans, on ne proposait pas la Nouvelle-Zélande, le Japon, ou encore l’Afrique du Sud. Il y a peut-être aussi moins d’acteurs sur ce secteur-là. Ce que nous constatons c’est la demande croissante pour des séjours d’une durée de seulement trois, quatre à cinq jours. Et ce pour la France ou des destinations européennes. En termes de saisonnalité, l’été n’est plus forcément LA période de l’année, même si, pour beaucoup, c’est là que partent le plus grand nombre de jeunes. Nous, nous voyons une forte augmentation de l’activité pour les vacances de la Toussaint. Ensuite, les vacances de février et du printemps restent assez stables. »
Pauline Brionne, elle, dirige Envol Espace, une société spécialisée uniquement sur le groupe scolaire depuis 35 ans. « Pour ma part, je ne pense pas que nous proposons exactement les mêmes voyages qu’il y a 30 ans. Effectivement, nous faisons toujours les voyages à Londres ou Barcelone, mais il y a aussi désormais beaucoup de thématiques qui sont mises en place. Les établissements scolaires veulent un peu des programmes différents. On peut ainsi avoir le programme Harry Potter, en fonction de l’actualité et de ce que les jeunes attendent aussi. Cela peut être également “sur les pas d’Agatha Christie” pour des choses plus sérieuses. Et puis il peut y avoir des thématiques agricoles, horticoles en fonction des établissements, qu’il s’agisse de collèges, de lycées, d’établissements professionnels… Selon la destination, on peut proposer différentes choses. C’est vrai que c’est une activité très saisonnière, mais contrairement à ce que fait Michael, par exemple, nous travaillons en dehors des vacances scolaires puisque les élèves partent avec leurs professeurs. Les voyages dont nous nous occupons s’étalent surtout de février jusqu’en mai, mais le gros c’est en mars et avril, autour des vacances de printemps et cela pose quand même des problèmes puisque tout le monde veut partir en même temps. »
Johann Olivier, directeur service vacances de Vacances Passion, est également concerné par les voyages scolaires. « Nous avons deux secteurs: les classes découvertes et les séjours scolaires puisque nous n’avons pas d’autocars mais des structures. Les classes découvertes ça va de quatre ans, avec les classes maternelles, jusqu’au collège. Nous faisons aussi des voyages scolaires à l’étranger. L’avantage de ce marché, c’est qu’il est très fidélisé. Nous constatons que les enseignements ou les établissements sont attachés à un organisme. Je partage l’avis d’Yves Verdié en constatant qu’il n’y a pas trop d’évolution dans les séjours. Avant, mais cela n’existe plus, nous avions des classes de découverte qui duraient trois semaines. Maintenant, c’est du cinq jours. Enfin, en termes de saisonnalité, nous aussi, nous avons une grosse activité sur l’automne ce qui représente beaucoup d’avantages pour l’enseignant, pour débuter son année. »
Pour d’autres, l’activité du voyage des jeunes se concentre en grande partie sur des séjours très précis. Exemple avec Golden Voyages, une filiale de Travel Factory où Bruno Mounier occupe le poste de directeur commercial et marketing digital. « À travers cette filiale, on réalise à peu près 300 groupes de jeunes/an, ce qui n’est pas neutre. Cela a tout de même tendance à baisser, sur le ski notamment où la demande a changé. Nous ne sommes plus sur des attentes de tout ski, mais plutôt sur une connaissance globale de la montagne. Il y a un vrai changement qui se double d’une autre attente en termes d’hébergement. Les jeunes sont aujourd’hui en recherche d’hébergement de type hostel, suite à des expériences opérées en ville, et ils veulent la même chose à la montagne, avec le confort de ce qu’ils ont pu vivre par ailleurs. »
Globalement, si les formats de séjours ont plus ou moins évolué, en fonction de la cible, groupe scolaire ou voyages de jeunes façon GIR, ce qui ressort également de ce marché ce sont donc de nouvelles exigences sur les prestations de transport et d’hébergement. « Chez Eole Loisirs, reprend Michael Brugeas, nous avons de plus en plus de demande des élus, des décideurs qui subventionnent les séjours, d’éviter les auberges de jeunesse et de choisir plutôt des hôtels avec les sanitaires dans les chambres. Certaines collectivités ne veulent plus entendre parler de chambres avec huit à dix jeunes dedans, et ça c’est nouveau. Il y a cette demande qualitative, mais en gardant le même prix… »
Même constat pour Pauline Brionne qui évoque, elle aussi, ces attentes: « Les professeurs veulent des autocars de grand tourisme pour leurs élèves, ou encore, le wifi dans les autocars. Après, au niveau des hébergements, c’est très variable. Il peut y avoir des familles d’accueil, mais au niveau des auberges de jeunesse, il faut des sanitaires dans la chambre et un certain confort. Les demandes s’orientent aussi vers des chambres pour trois ou quatre et non plus pour huit à dix. Pour les activités sur place, au-delà des visites, ils souhaitent aussi pouvoir avoir accès à d’autres contenus comme faire un marché à Barcelone puis cuisiner un plat typiquement espagnol et le manger ensemble. Ce sont des activités qui se développent de plus en plus et sur différents pays, comme, par exemple, apprendre une danse irlandaise, ou d’autres choses similaires qui se sont ajoutées depuis quelques années. Il faut diversifier le programme pour que les élèves restent intéressés. »
Concernant le transport, enfin, Rémi Chauchard, gérant des Autocars Chauchard (transport) et de Chauchard Evasion (tourisme), s’étonne encore de certaines demandes. « Ce qui me choque, moi, c’est le côté sécuritaire. Sur les 400 groupes que nous faisons, nous allons en faire voyager 300 de nuit, et c’est une demande des professeurs… Nous avons beau les conseiller en leur disant de faire une escale. Ce ne serait pas plus cher car la logistique de transport ne serait alors plus du tout la même, et le prix du transport ne serait plus le même. Quelques professeurs commencent à comprendre, d’autres pas du tout. Je pense que sur ce sujet, les choses devraient évoluer, mais c’est ce qui est paradoxal puisqu’éduquer des professeurs c’est très compliqué! »