Vaisseau amiral d’une flotte, un double-étage est un véhicule de prestige, toujours confié à un chauffeur méritant. À bord, chaque niveau a une ambiance qui lui est propre. Véhicule de compromis, un double-étage n’est jamais pleinement satisfaisant quant à sa hauteur intérieure et à ses soutes. Cela n’empêche pas un double-étage d’exercer un irrésistible pouvoir d’attraction.
Bienvenue dans un monde de l’extrême, où tout le monde roule sur trois essieux, est long de quelque 14 mètres, haut de 4 mètres et est animé par un moteur 13 litres. Rare dans le monde du car, la réunion de ces caractéristiques est une évidence pour un car double-étage.
La hauteur des véhicules est libre en France, mais souvent limitée à 4 m chez nos voisins européens. En conséquence, les cars double-étage de série sont limités à cette hauteur hors tout. Cela impose des hauteurs intérieures modestes, notamment au niveau supérieur où même un homme mesurant moins de 1,75 m se cogne la tête quand il se déplace dans l’allée centrale sans se baisser. Pour créer une sensation d’espace, il faut recourir à un pavillon vitré. Cette solution est déraisonnable au niveau inférieur, mais celui-ci offre une hauteur intérieure légèrement supérieure.
En haut, tous les passagers sont assis face à la route, dans une « ambiance autocar ». En bas, l’aménagement recourt souvent à des places en vis-à-vis, séparées par des tables qui permettent de travailler ou de déguster ce que l’accompagnateur voudra bien préparer avec la kitchenette intégrée. Parmi les places de choix, il y a la première rangée du niveau supérieur qui offre une vue imprenable sur l’environnement du véhicule, qu’il s’agisse d’une promenade en ville ou d’une traversée des Alpes.
Certaines configurations originales, par exemple à bord du Van Hool Astromega TDX 27, proposent deux places juste derrière le chauffeur. C’est inhabituel dans un double-étage où le chauffeur est le plus souvent isolé, car adossé à un escalier ou à une armoire. À propos d’escalier, vous remarquerez qu’ils sont l’un des principaux facteurs de qualité perçue d’un double-étage. La qualité de leurs matériaux, leurs ajustements et la propreté des escaliers n’échapperont à personne car la vue sur les marches est directe quand on les gravit. On note d’ailleurs différents choix d’implantation de l’escalier avant selon les constructeurs. Détail qui n’en est pas un, les wc d’un double-étage sont toujours de plain-pied. Contrairement à un car de tourisme classique, il n’est pas nécessaire de descendre l’escalier de la porte centrale et de tourner à gauche pour y accéder.
Assis bas et très loin du moteur, le chauffeur peut facilement perdre conscience de la hauteur du centre de gravité. Toujours équipé d’un moteur vigoureux, un double-étage accélère honorablement. Son chauffeur doit donc savoir se montrer particulièrement prudent dans toutes les situations qui exposent le véhicule au renversement. D’autre part, la position basse du poste de conduite fait perdre l’avantage « poids lourd » de la vision au loin résultant de la position de conduite surélevée. Il faut être particulièrement attentif aux rétroviseurs et aux angles morts, y compris ceux provoqués par les rétroviseurs qui masquent une partie du champ de vision vers l’avant. L’observation des usagers venant de la droite aux intersections, ou celle d’un feu tricolore occulté par le plancher du niveau supérieur comptent parmi les désagréments de conduite avec lesquels le chauffeur doit composer. Remarquez que sur le VDL FDD2, la partie avant du plancher supérieur est inclinée vers le haut afin de faciliter l’observation des feux par le chauffeur.
En raison de toutes ces difficultés de conduite, les autocaristes ne confient un double-étage qu’à des chauffeurs sélectionnés, capables de prendre soin des nombreux passagers d’un engin valant plus de 400 000 euros. Au volant, le respect des hauteurs maximales autorisées est essentiel. À défaut, on s’expose à des situations comparables à l’accident du 23 juin 2017 qui a vu un car percuter la voûte du tunnel parisien du cours de la Reine, interdit aux véhicules de plus de 3,90 m. Rappelons qu’à la suite de l’accident du 17 mai 2003 sur l’autoroute A6 ayant entraîné le décès d’une vingtaine de passagers d’un Skyliner à Dardilly (Rhône), le bureau d’enquête sur les accidents du transport terrestre a recommandé la création d’une spécialisation « autocar à étage » pour les chauffeurs et l’installation de dispositifs de contrôle de trajectoire. Sur ce second point, la réglementation a effectivement évolué. Ceci dit, le bilan de la catastrophe de Dardilly aurait été moins lourd si les cars à double-étage n’étaient pas exemptés du règlement ECE n° 66 relatif à la tenue des pavillons d’autocars lors des renversements et tonneaux.
Dans un car habituel, la soute se trouve sous le plancher des passagers, le volume de la soute dépend alors de la longueur du véhicule et de la hauteur du plancher tandis que le chargement de la soute s’effectue relativement facilement depuis le sol. Avec un double-étage, c’est différent. La soute se trouve au-dessus des roues arrière, entre le moteur et le compartiment inférieur des voyageurs. La hauteur du seuil de chargement est donc nettement supérieure à 1 m. Pire, le chauffeur est contraint de procéder en deux temps. Il doit d’abord charger depuis le sol, puis monter dans la soute et la ranger à quatre pattes. Pour faire bonne mesure, la roue de secours se trouve parfois dans la soute. Il faut être attentif à l’éventuel escalier rétractable ou aux échelons d’accès à la soute ainsi qu’à la qualité de la housse de protection destinée à protéger le flanc du véhicule au-dessous des portes de soute. À propos des volumes de soute annoncés par les constructeurs, ils cumulent parfois la soute principale et plusieurs petits coffres peu exploitables. Pour augmenter la capacité d’emport, il reste possible d’ajouter un coffre arrière, voire une remorque, mais celle-ci impose le permis ED.
L’étroitesse du marché des cars double-étage explique que certains acteurs n’y soient pas présents. Mercedes et MAN y sont représentés par Setra et Neoplan, marques haut de gamme de leurs groupes respectifs. L’ensemble de l’offre actuelle trouve ses racines chez des spécialistes de la carrosserie grand tourisme. Dernier arrivé, VDL a en fait intégré le Berkhof Axial à sa gamme où il est devenu le VDL Synergy DD en 2007.
Les ventes de cars double-étage en Europe sont en progression constante et ont doublé entre 2011 et 2016 en passant de 234 à 474 unités. Les ventes 2016 se répartissent entre 175 Setra S431DT (36,9 %), 117 Van Hool Astromega (24,7 %), 70 Neoplan Skyliner (14,8 %), 52 VDL FDD2 (11 %), 39 véhicules sur soubassements Scania et 21 « autres » parmi lesquels se trouvent par exemple les réalisations à l’unité des Espagnols Ayats et Beulas. L’Allemagne est le principal marché avec 138 ventes (29,1 %) en 2016, suivie par l’Italie avec 77 véhicules (16,2 %), le Royaume-Uni avec 58 cars double-étage (12,2 %), les Pays-Bas avec 30 véhicules (6,3 %), puis la France avec 29 unités (6,1 %). Bien que la France soit le premier marché européen pour les cars et bus, il s’y vend cinq fois moins de cars double-étage qu’en Allemagne.
Jusqu’à présent, les cars double-étage étaient presque tous en classe III puisqu’ils étaient quasi exclusivement réservés au tourisme ou aux grandes lignes. Leurs ventes se développent aujourd’hui en classe II afin d’assurer des services périurbains pour lesquels des passagers debout sont admis.
La gamme TX de Van Hool dont fait partie l’Astromega a été refondue en octobre 2011. Ses moteurs ont ensuite été mis aux normes entrées en vigueur depuis. Actuel leader du marché, Setra s’est lancé sur le marché du double-étage en 1982 avec le S228DT (prédécesseur des S328DT, puis S431DT), c’est-à-dire quinze ans après la sortie du premier Neoplan Skyliner dont la lignée célèbre ses cinquante ans en 2017. La génération Skyliner actuelle a été révélée en septembre 2014 à l’occasion de l’IAA et est livrable depuis juin 2015. En septembre de la même année, VDL remplaçait son Synergy par le nouveau FDD2 intégré à la famille Futura 2.
En juillet dernier, Setra présentait le S531DT destiné à remplacer le S431DT. Ce dernier ne s’effacera qu’au cours de l’année 2018, les deux modèles étant produits parallèlement pendant quelques mois en attendant que le S431DT passe définitivement le témoin à son successeur.
Lors des actualisations des modèles Neoplan, Setra ou Van Hool, de nombreuses améliorations ont été apportées, mais aucune révolution n’a été remarquée. Ces véhicules sont définis selon les limites du cadre réglementaire et ne s’améliorent que par des détails d’équipement et d’aménagement ainsi que par des améliorations de la motorisation, de l’aérodynamisme et des équipements de sécurité. Pour une révolution, il faudra attendre l’arrivée de pièces en carbone, promises pour la prochaine décennie. Elles allégeront et renforceront les structures.
En 2017, DAF a présenté ses nouveaux moteurs Euro 6 step C offrant plus de puissance et plus de couple que les précédents, tout en étant plus économes. Pour sa part, ZF commercialise la boîte TraXon destinée à remplacer l’AS-Tronic dont les versions pour véhicules lourds disparaîtront en 2020. Par conséquent, utilisant le moteur DAF et la boîte ZF, les Van Hool et VDL renouvelleront prochainement leurs chaînes cinématiques en adoptant ces nouveaux organes.
L’amélioration de l’aérodynamisme et l’optimisation de la chaîne cinématique sont deux facteurs de réduction de la consommation. Avec un Cx de 0,35, le Setra S531DT équipé de la dernière évolution du moteur OM471 prétend réduire sa consommation de 7 à 8 % par rapport au S431DT qu’il remplace. Sa rentabilité serait donc exceptionnelle selon son constructeur.
Curieusement tenus à l’écart des obligations de la réglementation anti-renversement, les cars double-étage sont également privés du système Mercedes de recul du siège du conducteur en cas de choc frontal (FCG, front collision guard), pourtant généralisé sur les cars de tourisme récents du groupe Daimler. La responsabilité du chauffeur n’en est que plus grande. Il faut cependant remarquer que le Setra S531DT est le premier car équipé d’un radar latéral afin de détecter une présence sur son flanc droit. Il a aussi la primeur de l’ABA4 (active brake assist). Chargé de déclencher automatiquement un freinage d’urgence en cas de risque de collision avec un obstacle fixe ou mobile, l’ABA4 est également capable d’anticiper la trajectoire d’un usager vulnérable dans le cas où celle-ci intercepterait celle du car. Cela fonctionne par exemple avec les piétons qui s’apprêtent à traverser, même lorsque le car est en train de changer de direction.
Porteur d’image au sein d’une flotte, le double-étage est la solution évidente pour l’exploitant à qui sont régulièrement confiés des groupes de plus de 70 personnes. En laissant à part la contrainte de rentabilité associée au taux de remplissage, la formule a contre elle sa hauteur, parfois excessive à l’extérieur, toujours insuffisante pour les occupants du niveau supérieur. Parmi les chauffeurs, un double-étage favorise l’émulation car il est classiquement attribué aux meilleurs.
Neoplan, Setra, Van Hool et VDL se limitent à 14 m de longueur et à 4 m de hauteur. Parce que la réglementation autorise les cars monocaisse de 15 m, le carrossier-constructeur espagnol Ayats propose son modèle double-étage Eclipse avec des caractéristiques exceptionnelles. Il est ainsi configurable jusqu’à 15 m de long, 4,2 m de hauteur, 100 + 1 + 1 places (classe III) et une soute de 16 m3! Au salon de Courtrai 2017, Ayats présentait une nouvelle version en classe II, configurée pour 108 passagers assis. Dans le même esprit, Beulas, un autre constructeur espagnol, propose son Jewel en trois longueurs jusqu’à 14,60 m, et en deux hauteurs, jusqu’à 4,17 m.
Pour le marché japonais, Neoplan a créé une version compacte de son Skyliner, limitée à 9 m de longueur et à 3,80 m de hauteur. Commercialisé en 1985, celui qui reste à ce jour le plus petit des Skyliner se contente d’une silhouette à deux essieux et dispose, bien sûr, d’un volant à droite, conformément aux usages japonais.
Du côté des géants, le Skyliner a été décliné en version Megaliner montée sur quatre essieux dont trois directeurs. Produit de 1983 à 2000, le Megaliner est long de 15 m. Encore plus fort, le Skyliner a donné lieu à une version articulée de 18 m appelée Jumbocruiser et produite en petite quantité entre 1975 et 1992.