« Croisières: quelles innovations pour attirer plus de touristes » A cette question posée à l’occasion d’une conférence, les patrons de compagnies phares de la croisière sur le marché français ont montré qu’ils n’étaient pas à court de nouvelles idées. Ils comptent aussi tout particulièrement sur les agences de voyages pour stimuler la demande et s’engager ensemble dans une relation gagnant-gagnant.
Avec une cinquantaine de navires qui seront mis en eau dans les prochaines années à travers le monde, la croisière disposera d’une offre étoffée, tant en termes de capacités que de diversité. Surtout que l’offre actuelle est d’ores et déjà variée et abondante. Mais qu’en est-il de la demande? Certes, la croissance est régulière, comme le souligne la Clia, qui réunit les compagnies de croisières, et relève par exemple en dix ans une augmentation de 68 % du nombre de passagers. Mais, les acteurs de ce marché sont persuadés que le potentiel, en France, est encore loin d’être épuisé. En ayant l’offre, c’est donc bien la demande qu’il faut aller chercher.
« Sur le marché français, il y a encore un rattrapage à faire. Nous disposons ici d’un relais de croissance qui multiplierait par trois ou quatre les chiffres d’aujourd’hui, et c’est encore plus vrai pour le segment du luxe », estime Hervé Bellaïche, directeur général adjoint de Ponant. Georges Azouze, qui dirige Costa Croisières en France, est persuadé que les compagnies sont aujourd’hui « à même de séduire la clientèle, mais que cela dépend aussi de leur capacité à créer de la demande ». Du désir à l’acte, le passage n’est pas automatique. « Ce n’est pas mécanique », confirme Patrick Pourbaix, directeur général de MSC France. La séduction est utile pour aller chercher des clients, mais « il en faut plus pour dénicher les futurs croisiéristes », ajoute-t-il.
Beaucoup a déjà été fait pour cela, estime de son côté Antoine Lacarrière, directeur général de Croisières de France. « Les compagnies peuvent aujourd’hui répondre à toutes les demandes. Elles ont su gommer les images qu’on plaquait sur la croisière. La distribution a, de son côté, fait beaucoup d’efforts depuis quatre ou cinq ans pour vendre la croisière et en faire un vrai vecteur de croissance. Nombre d’outils sont en place qui vont dans ce sens », considère Antoine Lacarrière.
Pour aller plus loin, les solutions présentées par les dirigeants témoignent d’un raffinement plus grand du produit, de nuances apportées aux offres existantes, d’une adaptation plus ciblée à la demande.
« Nous avons basculé d’une offre de croisières à une offre de vacances », observe Georges Azouze, avec des navires plus proches du resort flottant que du paquebot de base où le divertissement se résume aux parties de bridge et aux conversations de fumoir. Les compagnies qui mettent l’accent sur l’itinéraire se présentent, elles, de plus en plus comme des tour-opérateurs disposant d’un outil particulier, le navire, pour faire découvrir de nouvelles destinations.
Selon l’option choisie, la clientèle à capter ne sera en effet pas tout à fait la même, navire et originalité de l’itinéraire apportant un plus par rapport à d’autres types de voyages. « Nous pouvons proposer des destinations atypiques, comme les pôles, ou des approches différentes, avec le fluvial. Des découvertes et des activités hors du commun sont alors permises », explique Hervé Bellaïche.
Pour Georges Azouze, la clientèle européenne est encore très sensible à la destination, c’est elle qui prime, les possibilités offertes par le navire venant ensuite. Mais les innovations apportées aux navires au cours de la dernière décennie, avec « l’arrivée des balcons sur les bateaux sillonnant la Méditerranée, le développement des divertissements à bord et des animations permanentes » sont aussi prises en compte par une clientèle plus large que celle d’autrefois.
Aujourd’hui, tout en étant sur le même navire, il est possible de vivre une croisière différente, avec des espaces distincts comme le propose MSC avec son concept de « yacht club », qui réserve une partie du navire à une clientèle particulière, qui a accès à tout, y compris à des exclusivités, comme un lounge qui lui est réservé. Ce travail de segmentation peut aussi s’appliquer dans le temps, observe Patrick Pourbaix, avec, selon les périodes, vacances scolaires ou hors congés, des prestations tenant compte de la fréquentation potentielle, seniors, familles, jeunes. Le développement des croisières thématiques illustre aussi parfaitement cette volonté d’élargir la clientèle et de mieux la répartir dans le temps.
Par delà l’affinement de l’offre, le subtil dosage entre l’experience en mer et les découvertes à terre, les adaptations apportées aux navires, la commercialisation doit aussi être large pour que la croisière se nourrisse de son potentiel.
« Plus aucun agent de voyages ne met aujourd’hui en doute l’intérêt du produit croisière », relève Antoine Lacarrière. D’ailleurs l’intérêt est partagé par les opérateurs des navires comme par ceux qui les y conduisent. A l’image de l’offensive menée par MSC pour impliquer les autocaristes dans la vente de son offre de croisières et partager le bénéfice de l’élargissement de la clientèle. Grâce aux autocaristes qui connaissent leur marché local dans le moindre détail, la compagnie de croisières entend aller chercher ses futurs passagers jusque dans le plus petit hameau.
De manière plus prosaïque encore, Hervé Bellaïche montre que les agents de voyages ont même tout intérêt à travailler avec les compagnies. « Les commissions que nous leur versons sont plus importantes que celles que leur accordent les tour-opérateurs », assure-t-il. De plus, « 60 % de nos clients reviennent chaque année, ce qui rend les ventes plus faciles et garantit une forme de fidélisation à l’agence aussi ».
« Nous nous démenons beaucoup pour leur faire découvrir le produit », ajoute Antoine Lacarrière, notamment avec le workshop de découverte « Top Cruise » organisé chaque année à Marseille.
D’autres opérations comme « J’aime la croisière » sont directement intéressantes pour les agents de voyages qui peuvent saisir deux fois par an les offres exceptionnelles que chaque compagnie participant à l’opération met en avant.
Le fait est qu’aujourd’hui « 3 500 agences vendent des produits de croisières alors que dans les années 2000, il n’y en avait guère que 800 qui les proposaient », observe Georges Azouze. A présent, la distribution passe à parts égales par le online et le offline.
Si l’intermédiation va progressivement se réduire, il n’empêche que « la croisière a encore besoin d’un intermédiaire pour expliquer les produits », considère le Pdg de Costa France, d’autant qu’ils se sont considérablement diversifiés et qu’ils nécessitent une connaissance fine de toutes leurs subtilités.
Séduction des clients, séduction des agents, construction de partenariats entre compagnies de croisières et distributeurs, jusqu’où aller pour drainer vers les croisières la demande de voyages? L’arme du prix est à manier avec prudence. C’est plutôt par « un travail sur la différenciation et la qualité de l’offre », qui doit être privilégié, selon Georges Azouze. Le spectre d’une guerre tarifaire est écarté par Antoine Lacarrière qui considère qu’avec un taux de pénétration du marché encore faible en France, les différents acteurs ne peuvent être des concurrents.
Il pourrait en aller tout autrement lorsque les marges de progression sur le marché français seront plus réduites, mais l’objectif du million ou du million et demi de croisièristes n’est pas tout à fait pour demain. La balle est dans le camp des consommateurs.