
Après des débuts pour ainsi dite ‘’chaotique’’, NDC continue son développement contre vents et marrées. Qu’en est-il vraiment aujourd’hui pour la distribution ? Question posée à Hubert Prades directeur des systèmes d’information chez Selectour
La norme NDC (New Distribution Capability) a été lancée par l'IATA (International Air Transport Association) en 2012, il y a 13 ans.
Elle vise à moderniser la manière dont les compagnies aériennes distribuent leurs offres via les agences de voyages et les systèmes de réservation. Ce standard basé sur XML a pour ambition de rendre les contenus aériens plus riches, plus personnalisés et plus flexibles. Cette norme redonne aux compagnies la maîtrise de leur distribution.
Interview exclusive de Hubert Prades, directeur des systèmes d’information chez Selectour, pour faire le point, à date, de cette norme.
Tour Hebdo : En quoi NDC impacte-t-il les agences de voyages ?
Hubert Prades : Pour les agences de voyages, cette transformation représente à la fois un défi et une opportunité. Comment s'adapter à ce nouveau paradigme ? Quelles sont les évolutions récentes et que nous réserve l'avenir ? Le NDC a été conçu pour répondre à des limitations historiques des GDS - Global Distribution Systems- traditionnels.
Tour Hebdo : Plus précisément ?
Hubert Prades : Ces limitations sont de tous ordres, comme l’uniformité des contenus, sans différenciation possible sur l'expérience client, la difficulté à afficher des services annexes de façon dynamique, à savoir les bagages, les sièges, les repas premium, etc. Et enfin la faible capacité à personnaliser les offres selon le profil du voyageur.
Tour Hebdo : Et donc, quelle serait la promesse d’NDC ?
Hubert Prades : Les principaux objectifs du NDC sont multiples : d’abord permettre aux compagnies aériennes d’afficher des offres enrichies, incluant des images, des descriptifs et des packages personnalisés. Ensuite, favoriser la vente de services additionnels. Enfin, autre avantage et non des moindres : réduire la dépendance aux GDS et encourager une distribution plus directe.
Tour Hebdo : Et pour les agences, quelles sont les modalités avec NDC ?
Hubert Prades : Pour les agences, l’arrivée du NDC implique à la fois des investissements dans des outils capables de consommer les flux NDC et la nécessité de former les équipes à de nouvelles interfaces avec une complexité accrue dans la gestion des contenus.
Tour Hebdo : Quelles en sont les conséquences pour la distribution ?
Hubert Prades : Bonne question, car au-delà de l’aspect technique, c’est un changement de modèle économique qui oblige Selectour avec le GIE ASHA ainsi que tous les acteurs de la distribution à mener des négociations avec les compagnies aériennes sur les conditions commerciales et les modèles de rémunération. Les revenus provenant des réservations GDS s’amenuisent pour basculer sur des revenus à négocier aussi avec les compagnies.
Tour Hebdo : Concrètement, quels sont les bénéfices pour vous ?
Hubert Prades : La norme NDC ouvre des perspectives intéressantes. C’est du moins la promesse faite par les compagnies. Un accès à des offres exclusives et des tarifs différenciés, la possibilité de proposer des expériences client plus riches comme les options, les packages, le service premium, etc… Une réduction des coûts liés à certains intermédiaires et une fidélisation accrue grâce à une meilleure personnalisation.
Tour Hebdo : En définitive, quel est votre bilan ?
Hubert Prades : Le constat à date est que toutes ces promesses ne restent encore que des promesses. Le déploiement du NDC reste contrasté. Certaines agences, notamment les OTA ont déjà intégré NDC dans leurs processus, car les conditions, notamment d’après-vente, sont moins souples.
Tour Hebdo : Et pour les agences traditionnelles ?
Hubert Prades : C’est justement le problème. Ce sont ces opérations qui sont les plus complexes à intégrer dans NDC. Aussi, lorsque nous rencontrons un problème sur un échange, par exemple, l’agence doit contacter la compagnie pour finaliser l’opération et ensuite facturer manuellement. C’est une perte de temps. Pour Selectour, malgré une implication depuis plusieurs années dans le projet NDC, le déploiement est plus complexe.
Tour Hebdo : Pourquoi ?
Hubert Prades : Plusieurs raisons à cela. Les outils ne sont pas totalement opérationnels, que ce soient les flux des compagnies ou les solutions des agrégateurs technologiques. Par exemple, la possibilité de modification avant émission pour Air France KLM n’est disponible que depuis le mois de mai sur notre principal outil ! La conservation des services après un échange, la gestion des billets non volés sont en cours de planification.
Tour Hebdo : Pourtant NDC a été lancé il y a déjà 13 ans ! Comment expliquer ces délais ?
Hubert Prades : Le niveau de fonctionnalités sur NDC dépend des compagnies. Elles n’ont pas toutes le même niveau de maturité. Certaines fonctions sont disponibles avec certaines et pas sur d’autres…Cela rend la prise en main et le travail au quotidien plus complexe et stressant, sans parler des instabilités.
Tour Hebdo : C’est-à-dire ?
Hubert Prades : C’est un autre point de mécontentement. Nous constatons ponctuellement des instabilités lorsque l’on interroge les API, c’est-à-dire les systèmes informatiques des compagnies. On se retrouve parfois dans l’impossibilité de finaliser une réservation. Il ne faut pas oublier qu’avec NDC, nous sommes connectés directement au système informatique de chacune des compagnies.
Tour Hebdo : Quelles sont les solutions ?
Hubert Prades : Les développements évoluent sans cesse et nous menons un travail permanent avec les équipes de nos partenaires techniques, à commencer par Amadeus qui est notre principal partenaire agrégateur, mais aussi Wondermiles et les compagnies aériennes : AF/KL, LH, … Sur le plan technique, nous n’avons jamais autant travaillé avec les compagnies, l’objectif étant de faire remonter les anomalies, les demandes d’améliorations et de prioriser les roadmaps de développements. Tout le monde reste volontaire et motivé, mais le chantier est important, probablement le plus important pour tous depuis des décennies.
Tour Hebdo : Quelles en sont les conséquences pour votre productivité ?
Hubert Prades : Vous évoquez un point essentiel. La productivité est un enjeu crucial pour les agences, car on passe d’interfaces cryptiques du GDS sur lesquelles beaucoup de conseillers ont acquis une expertise à des interfaces graphiques qui n’ont plus rien à voir. On gagne sur certaines parties du process de vente, mais on perd sur d’autres. Au final, la productivité dépend du type d’opération, mais globalement aujourd’hui, la preuve d’une meilleure productivité prônée par certains agrégateurs reste à prouver.
Tour Hebdo : Et alors ?
Hubert Prades : Nous continuons de travailler avec nos partenaires en procédant à des mesures de temps de traitements. Je peux dire, quand même, que les temps de traitement se sont améliorés par rapport à ceux très décevants que nous mesurions il y a plus d’un an. J’ajoute avec Amadeus que nous avons la possibilité de basculer du mode cryptique au mode graphique dans un même process. C’est une solution qui doit nous permettre une transition plus progressive vers les interfaces graphiques jusqu’à ce qu’elles soient plus efficaces. À terme, nul doute que les nouveaux conseillers ne connaîtront que le graphique.
Tour Hebdo : Justement, comment voyez-vous évoluer NDC dans les années à venir ?
Hubert Prades : Les compagnies, de leur côté, accélèrent la transition en modifiant les conditions d’accès aux contenus non NDC via les GDS avec des frais supplémentaires, un contenu limité hors NDC, etc.. Les flux NDC vont continuer à évoluer sous l’impulsion conjointe des compagnies, des agences et des fournisseurs technologiques. Pour nos agences, l’enjeu sera d’anticiper ces évolutions, d’adapter notre modèle économique et de renforcer notre valeur ajoutée en matière de conseil et de service.
Tour Hebdo : Pour conclure, quelle est votre position face à cette transformation ?
Hubert Prades : NDC n’est pas une fin en soi, mais une étape clé dans la transformation digitale de la distribution aérienne. Pour les agences de voyages, il s’agit de se positionner comme des acteurs agiles, capables d’intégrer de nouvelles technologies tout en continuant à répondre aux attentes des clients. Cela passera par des investissements technologiques, des partenariats stratégiques et une montée en compétence des équipes.
Tour Hebdo : Vous restez quand même optimiste ?
Hubert Prades : En définitive, la norme NDC, bien que source de complexité, offre aux agences de voyages l'opportunité de se réinventer et de jouer un rôle central dans l’écosystème de la distribution aérienne de demain.