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Raouf Benslimane (Thalasso N°1/Ôvoyages) : "Les clients reprendront leurs habitudes de voyage... sauf si l'offre change"


Publié le : 21.04.2020 I Dernière Mise à jour : 21.04.2020
Raouf Benslimane, président de Thalasso N°1/Ôvoyages. I Crédit photo DR

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  • Propos recueillis par Manon Gayet

Le fondateur et dirigeant de Thalasso N°1-Ôvoyages Raouf Benslimane partage sa réflexion sur l’avenir de son métier de tour-opérateur. Il plaide pour du réalisme économique, de l’optimisme et une prise de conscience écologique. Entretien.

Faire face à la crise du Covid-19

Tour Hebdo (TH) : De nombreuses mesures économiques ont été prises par le gouvernement. Quelle est votre situation ? En avez-vous profité ?

Raouf Benslimane (RB) : Oui, nous en avons profité pleinement. On pourra reprocher ce qu’on veut au gouvernement sur la gestion de l’épidémie, mais pour ce qui concerne les mesures économiques, l’État français a retenu les leçons de la crise de 2008 en anticipant les conséquences de cette pandémie qui est un véritable tsunami sanitaire, mais surtout économique. La prise en charge du chômage partiel, la suppression des charges patronales, le prêt garanti par l’État (PGE)… Cela permet de sauver beaucoup d’entreprises françaises.

Nous avons eu recours au PGE par souci de sécurité, en espérant ne pas l’utiliser car notre trésorerie nous permet de tenir. Tous les acteurs économiques devraient être encouragés à profiter de cette mesure mais cela doit être réfléchi à long terme. Cela reste de l’endettement et il faut bien mesurer les capacités de rebond et de remboursement de sa société. A présent, je n’attends qu’une chose très importante pour notre profession sur le long terme, c’est la garantie des fonds déposés au niveau des compagnies aériennes. Et ce quelque soit le procédé.

TH : A quelle échéance envisagez-vous une sortie de la crise ?

RB : La dernière intervention de Macron et l’analyse de la situation nous conduit à penser que l’hypothèse réaliste de reprise est janvier 2021. Si, toutefois, il n y a pas de déconfinement, suivi de reconfinement, etc. Quelle que soit la date de reprise, nous aurons une capacité de réaction quasi immédiate. Nos partenaires et nos avions sont prêts. Nous sommes leaders dans l’affrètement aérien, avec les mêmes prestataires depuis 15 ans, ce qui est capital dans ce contexte. Plus vous apportez de la maîtrise et de la réassurance avec vos propres vols, plus vous faites la différence auprès de vos clients.

TH : En quoi le charter fait-il la différence ?

RB : Il a fait la différence durant les rapatriements car nous avons opéré de façon instantanée avec nos propres appareils. Si nous avions des engagements sur des blocs sièges ou, pire, si notre activité n’était basée que sur de l’assemblage, la situation n’aurait pas du tout été la même. Cela renforce l’idée qu'un modèle hybride, avec une excellente maîtrise du charter, limite le risque lié au service après-vente et permet de maîtriser vos coûts et les aléas comme ceux que nous vivons actuellement. L’avenir est donc au modèle hybride. Ce sera une valeur ajoutée forte dans un contexte de forte concurrence où la plupart veulent prendre une part de marché sans aucune prise de risque.

Préparer l'après-crise du Covid-19

TH : Après une telle crise, à quoi ressemblera le voyage ?

RB : Cette période est détestable mais j'aime le questionnement et la prise de recul qu’elle impose. Pour une fois dans notre existence de professionnels, on pourrait dire qu’on ne sait pas où on va… alors qu’avant, on savait qu'on allait dans le mur ! Avec trop d’opérateurs, trop d’avions, trop de prix cassés, trop de pollution, trop d’inertie politique, trop d’incohérences, trop de n’importe quoi. Cela dit, je ne fais pas partie de ceux qui pensent que tout va être bouleversé. En effet, je me fie aux situations passées. Après les attentats du 11-Septembre et la vague terroriste, beaucoup ont pensé que les clients voyageraient moins. Pourtant, le secteur est reparti en flèche malgré les importantes contraintes de sûreté imposées dans les aéroports.

A présent, le changement va se situer du côté des industriels et du politique plutôt que du côté des clients. (…) Nous assistons pour la première fois sur Terre à une prise de conscience mondiale et totale sans aucune exception de notre fragilité. Ce qui était prédit, c’est l’impact direct du non respect de notre environnement. Ce qui est arrivé avec le Covid-19, c’est un exemple parmi d’autres des conséquences de ce non respect.

TH : Comment cela se passera-t-il, concrètement ?

RB : Le changement sera d’abord et surtout politique car avec les populations, c’est le politique qui vient d’être touché directement et violemment. Pour parler de la France, on peut espérer l’équivalent d’un vrai plan Marshall pour relancer l’économie, qui devra obligatoirement être accompagné d'une démarche écologique pour toutes les industries concernées. Pour les avionneurs ? L’encouragement à l’exploitation d’énergies propres au travers de subventions. Pour les clients ? Une taxation-sanction pour toute consommation de services utilisant des énergies polluantes, voire pour tout type de surconsommation, ce qui se traduirait par une écotaxe sur tous les billets d’avion. 

A l’évidence, le paysage de l’aérien va être bouleversé car des compagnies vont disparaître même si les plus importantes vont bénéficier du soutien de leur gouvernement. Ce soutien est d’ailleurs très dangereux car il y a des compagnies qui sont des puits sans fonds en termes de gestion et de pertes. On pourrait mettre 1 ou 2 milliards dans une low cost mal gérée, elle finira par déposer le bilan et cela vaut aussi pour les autres opérateurs, l’exemple de Thomas Cook renfloué à hauteur de 2 milliards n’a pas suffit à le sauver à long terme. Le soutien aveugle des plus grosses compagnies par les États risque d'être paradoxalement le frein majeur à toute stratégie basée sur une gestion saine des comptes. Je crains que nous assistions à nouveau à une course aux parts de marché. (…)

Au niveau des voyagistes, la reprise se fera de façon lente et progressive, le temps que s’efface dans l’esprit de chacun cette hantise de la menace sanitaire. Même si elle disparaît notamment avec la découverte d’un vaccin, sur le plan psychologique nos comportements ont besoin d’un temps d’adaptation. Il faudra donc tenir pour rebondir le moment venu car la reprise sera au rendez-vous avec une demande qui aura un peu évolué, mais qui sera toujours focalisée sur le prix.

Construire les habitudes de voyage de demain

TH : Considérez-vous donc que le comportement du consommateur ne changera pas du tout ?

RB : La question est plutôt : « Qu’est-ce qui fait changer le comportement du consommateur ? » Il y a selon moi deux variables constantes : le pouvoir d’achat, qui joue sur l’ampleur de la demande, et l’offre qui modèle cette demande. Soit on entre dans une période noire de chômage avec des vagues massives de licenciements, et il y aura alors une perte de pouvoir d’achat de beaucoup de Français. On voyagera donc moins et moins cher. Soit on limite les dégâts (ce vers quoi tendent les actions du gouvernement), et il faut alors considérer cette pandémie à sa juste valeur comme toute épidémie qui a tué des centaines de milliers de personnes en Asie et en Afrique sans que ça n’émeuve notre planète sur l’urgence sanitaire et écologique.

Si l’on considère le phénomène sanitaire sans y ajouter nos états d’âme et la part d’émotion qui s’effaceront aussitôt la pandémie éradiquée, alors on peut considérer en toute objectivité que le client reprendra ses habitudes en voyageant là où il veut, quand il veut, au prix qu’il veut. À moins que l’on ne fasse jouer la deuxième variable, l’offre, pour le faire changer. Et c'est là qu'intervient le rôle de l'industriel, après celui du politique évoqué précédemment.

TH : Comment comptez-vous influer sur cette offre ?

RB : Je fais référence à la création de la marque Thalasso n°1 après les événements du 11-Septembre. On nous a pris pour des fous car nous savions qu’il y aurait une baisse de la demande et que le critère d’achat serait fortement basé sur le prix. Le prix de la thalasso et les voyages bien-être sont plus chers, c’était justement notre pari de nous différencier par une valeur ajoutée forte afin de ne pas entrer dans cette bagarre sur les prix.

Idem avec Ôvoyages, nous savions qu'il y aurait un jour des problèmes sur notre axe leader qu’est la Tunisie. On a anticipé un repositionnement en provoquant une nouvelle demande sur des destinations quasi inconnues comme Fuerteventura, Lanzarote, etc… A chaque crise, les opérateurs sont repartis à l’assaut de la croissance et des parts de marché… et les clients à l’assaut des prix et des voyages les moins chers. Pourquoi cela changerait-il ? Il appartient à chacun de se déterminer et d'anticiper ce qu'il souhaite offrir aux clients car, je répète, l'offre peut faire varier la demande.

TH : N’y aura-t-il tout de même pas un changement des habitudes de consommation à la sortie de la crise ?

RB : En plus d'une hyper conscience et du souci du respect de l'environnement, il y aura une recherche de plus d’authenticité, une volonté de partage au sens de communication, par opposition au confinement qui limite et bride les échanges. Finalement, on aura tellement communiqué par tout moyen digital qu’on en sera peut-être un peu dégoûté et qu’on voudra plus de relations directes et physiques. Les voyages trouveront ainsi parfaitement leur place dans cette soif de communication et d’échange physique, au travers notamment du segment clubs, l'endroit par excellence pour créer des communautés et partager tout type d’activités et de vraies expériences de relations humaines enrichissantes.

Rassurer les Français qui veulent voyager

TH : Quelles destinations pourraient, malgré tout, tirer partie de cette crise ?

RB : Je ne fais pas partie de ceux qui disent que la France va rebondir dans l'immédiat. Elle sera gagnante et profitera à plein et à long terme de cette crise mais seulement en 2021. Il y aura trop de contraintes dans les voyages intérieurs dans l’immédiat. Le moyen-courrier en profitera aussi, mais pas avant 2021 non plus. Il sera moins impacté à court terme que le long-courrier car dans notre imaginaire à tous, le fait de partir à proximité de la France semble plus confortable et rassurant psychologiquement par rapport à la crainte sanitaire. Y compris pour les clients qui ont vécu des rapatriements très compliqués sur le long-courrier.

On peut même imaginer, et cela peut paraître fou aujourd'hui car cela s'attaque aux libertés individuelles dont celle de librement circuler, de voir nos politiques limiter le nombre de voyages long-courriers. En réalité, il n'y a rien de fou puisque c'est ce qui se passe déjà aujourd'hui pour protéger la santé des personnes. Ce serait pareil demain pour cette fois éviter et non affronter la catastrophe !

TH : Pensez-vous que les Français auront encore les moyens de voyager ?

RB : Dans l'immédiat, on assiste à un phénomène intéressant concernant le revenu des ménages. Pendant le confinement, la plupart des Français voient leur salaire maintenu à 84%. Or, ils dépensent beaucoup moins que lorsqu’ils se déplacent pour travailler, il n’y a quasiment plus de dépenses de loisirs comme le cinéma, les restaurants, les voyages, etc. On peut donc raisonnablement estimer un rebond fort de la consommation dès la fin de cette épidémie. Attention toutefois à la croissance forte de l'épargne sur le livret A, qui laisse craindre que les Français ne vont pas dépenser ce qui a été économisé, certainement parce qu'ils s'inquiètent d'une possible vague de licenciements... Or, à l'évidence, le gouvernement s'attèle à éviter à tout prix cette situation.

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