Au départ de l’aventure Allopicnic, on retrouve deux camarades de promotion de l’EM Lyon, une business school qui prépare à l’entreprenariat. Voici l’histoire de Nassima et Sadok, et leur chien Destroy qui a joué un rôle non négligeable dans la création de l’entreprise.
Alors en année sabbatique, après un début de carrière dans un cabinet de consultant en stratégie, Nassima Bennai a pris l’habitude de promener son chien chaque matin sur l’esplanade du Champs de Mars. Elle observe le nombre le nombre de touristes qui descendent de leur autocar devant les magasins d’alimentation pour acheter de quoi faire un pique-nique plus tard. Une idée germe, pourquoi ne pas proposer l’organisation toute préparée de ce pique-nique improvisé. Elle en parle à son camarade de promotion, Sadok Hafiane, prêt à l’accompagner dans la création d’une entreprise. Les premières prestations sont proposées à un guide professionnel rencontré à l’Institut du Monde Arabe et séduit par l’énergie de ces deux jeunes entrepreneurs. Ce seront des déjeuners sur l’herbe autour d’une nappe Vichy avec plateau de fromage, charcuterie et baguette. Dans leur appartement transformé en cuisine traiteur, le début d’Allopicnic est physique autant que commercial. Il faut monter les bouteilles au 4e étage, préparer les portions, emballer le tout dans des glacières transportées à vélo ou en métro à travers Paris.
« Nous avons petit à petit découvert le monde du tourisme et ses acteurs, contacté des excursionnistes pour proposer nos services », explique Sadok et assez vite le concept évolue. « Notre premier gros client, Liberty International, avait besoin que l’on apporte des paniers repas à ses clients à l’aéroport, avant qu’ils embarquent dans l’autocar pour leurs premières visites ». D’autres vont suivre avec des demandes similaires, exit la nappe Vichy pour faire place aux sandwiches à emporter avec fruits et boissons dans un sac en papier.
« La création de l’entreprise est assez simple, mais dès qu’un début de succès arrive, il faut gérer les étapes pour sortir de l’artisanat », commente Nassima qui ne doit plus seulement assurer la prospection commerciale, la logistique de livraison et préparer les salades, mais aussi demander des autorisations, remplir des contrats de travail, suivre la réglementation sanitaire. « On a dû se plonger dans la convention collective du secteur, comprendre la législation du travail de nuit, et gérer notre laboratoire de fabrication », rajoute Sadok qui insiste sur le modèle économique. « Nous voulons contrôler entièrement la chaîne de valeurs, de la relation client à la livraison en passant par le sourcing des produits et la confection maison des paniers repas ».
Et ça marche, avec une très forte implication personnelle du tandem. La première année d’existence a permis de montrer la valeur ajoutée du service et démontrer son intérêt pour l’excursionniste en termes de gain de temps et de rentabilité accrue. « Aujourd’hui, nous avons un historique qui nous aide à convaincre plus facilement de nouveaux clients », sourit Sadok. « Parallèlement, nous avons passé les formations nécessaires pour tout ce qui touche au process sanitaire de la restauration. Nous avons anticipé les contrôles et le respect du cahier des charges pour être au point ».
Le bon Monsieur David
Et de fait, la jeune équipe est aujourd’hui confrontée à des « problèmes de riches », ceux qui arrivent avec la croissance. En moins de deux ans, AlloPicnic en est à son quatrième déménagement pour trouver à chaque fois le local qui peut accueillir sa montée en puissance. Le cinquième devrait être le bon, pour un moment. « C’est une opportunité qui s’est présentée à nous, à deux pas du marché de la place Maubert, en plein cœur du 5ème arrondissement, ce qui n’est pas banal pour une cuisine centrale », raconte Nassima Bennai. Dans toute aventure entrepreneuriale, il y a ces rencontres un peu magiques qui apportent le petit coup de pouce nécessaire au bon moment. En l’occurrence la bonne fée est un magicien, Monsieur David, propriétaire d’un vaste local qu’il a mis à disposition du couple. « Il s’est pris de tendresse pour nous, qu’il appelle « ses petits courageux », en nous louant cet espace à très bon prix ». « Chaque étape a été franchie grâce à une rencontre », insiste Sadok Hafiane, « La création d’entreprise repose aussi beaucoup sur l’humain ».
Avec cette nouvelle adresse, AlloPicnic est encore plus proche des lieux touristiques que desservent leurs clients, ce qui se traduit en gain de temps et en facilité de livraison. C’est l’argument qu’ils mettent pour livrer les paniers repas lors d’un arrêt de l’autocar, sans avoir besoin de chercher un restaurant à midi et d’écourter des visites.
Partenaires de restaurateurs
Cette solution pourrait être mal perçue par les restaurateurs traditionnels, mais ce n’est pas le cas. Candidat très bien placé lors de la 1ère édition des Trophées Bus & Car, AlloPicnic a rencontré lors de la cérémonie un autre finaliste qui a décidé de s’associer à leur parcours, le Club des Restaurants de Paris. Cette plate-forme, qui facilite le choix d’un restaurant pour un organisateur de groupes, ajoute ainsi une prestation « à emporter » à son offre globale, un partenariat gagnant-gagnant.
Désormais, deux ans après la création et une expérience intense de terrain, les deux associés cherchent à se projeter dans l’avenir. Cela commence par un mariage pour sceller une union forgée par le travail en commun, et cela se poursuit par une réflexion sur le modèle économique. « Nous voulons privilégier la relation BtoB et travailler avec des professionnels en leur apportant un service Plus, sans chercher à nous mettre en avant », explique Sadok. « Le plus important est que leur prestation soit enrichie par notre apport. Nous commençons à proposer des Welcome Box logotées au nom de l’entreprise, comme pour ce réceptif brésilien ». « Cela ne nous gêne pas de nous effacer d’abord derrière le client, même si nous voulons garder notre identité », poursuit Nassima. « Il est plus important d’avoir une bonne réputation auprès de nos clients excursionnistes et réceptifs ».
Rêver en plus grand
Le résultat est perceptible dans le rythme de croissance. Alors que l’année 2017 s’est achevée sur un total de 1 400 repas servis, les six premiers mois de 2018 totalisent déjà 6 000 paniers repas livrés. Ce qui n’est pas sans poser des problèmes de logistique au risque de se créer quelques frayeurs. « Nous avions anticipé un fort rythme de croissance en limitant volontairement notre gamme de produits pour maîtriser totalement la fabrication des paniers repas en un rien de temps », explique la co-fondatrice, « mais je ne pensais pas qu’on serait amené à dire à nos clients qu’on ne pourra plus accepter de commandes supplémentaires jusqu’à la fin juillet et notre déménagement dans le 5ème». La jeune startup compte déjà 4 salariés, dont deux dédiés à la prise de commande pour être le plus réactif possible et deux préparateurs. Les jeunes patrons sont, eux, au four et au moulin, assurant à la fois la coordination et la stratégie, car ils ne s’interdisent plus de rêver en plus grand.
« Le concept est validé, le modèle économique aussi avec dans chaque segment du marché un gros client de référence comme excursionniste, réceptif ou tour-opérateur », estime Sadok Hafiane. « Nous voudrions le dupliquer en dehors de Paris et pourquoi pas à l’étranger ». Bizarrement, dans un univers touristique où tout semble avoir été défriché, exploré, exploité, personne à ce jour ne peut se présenter comme un concurrent réel d’AlloPicnic. Est-ce la révélation de génie de Nassima et Sadok ou une illusion sur le potentiel du marché ? « L’avenir nous le dira, mais nous avançons plutôt avec prudence en testant chaque nouvelle étape », confie Nassima. « On ne veut surtout pas grandir à tout prix en allant vers d’autres segments, comme les individuels, qui implique une autre démarche marketing, une autre logistique. Nous préférons approfondir notre créneau du groupe en partenariat avec les professionnels. Par exemple, nous avons conçu notre panier repas pour qu’il soit gustatif, facile à consommer et ne laisse pas de traces de nourriture dans le véhicule, ce qui est la hantise des autocaristes ».
L’une des leçons de cette aventure est aussi de savoir faire évoluer le concept de base. Parti sur l’idée de proposer un pique-nique complet sur l’herbe avec une belle nappe et de beaux produits, l’entreprise assure davantage la livraison de panier repas qui correspondent aux besoins exprimés. « L’option Les pieds sur la nappe existe toujours dans notre offre », insiste Sadok, « mais elle est marginale aujourd’hui dans notre chiffre d’affaires. Notre idée est plutôt d’être capable d’intervenir à tous les moments de la journée, du petit-déjeuner sur le pouce, au goûter ou à l’apéritif ». « Et surtout toute l’année», poursuit Nassima, « en restant sur le pique-nique, nous n’avions qu’une activité saisonnière ». Avec un business modèle bien cadré, la prochaine étape passera par une recherche de partenaire. « Ce n’est la levée de fonds qui pose problème, avec nos performances actuelles », reprend Sadok Hafiane, « c’est de trouver le partenaire qui nous fera davantage pénétrer dans le monde du tourisme par son propre réseau ».
Et Destroy dans tout cela : « Il a été promu chef de la sécurité », disent-ils en chœur, « il surveille les entrées et sorties du local ».