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Economie

L’impact climatique des voyages d’affaires : enjeux et ordres de grandeur


Publié le : 15.06.2023 I Dernière Mise à jour : 27.06.2023
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Auteur

  • Nabila Iken responsable R&D The Treep

Nabila Iken responsable R&D The Treep poursuit son analyse en évoquant la problématique qui se pose pour le secteur et les solutions qui se présentent aux professionnels du tourisme

Introduction

Qu’ils soient occasionnels ou fréquents, les business travels font partie intégrante de la vie des organisations, quelles que soient leurs tailles. Rencontrer des clients potentiels, se former, élargir son réseau … Les raisons de voyager sont multiples. Pour autant, ces déplacements ne sont pas sans conséquences sur le climat. Ils peuvent même peser lourd dans le Bilan Carbone de certaines entreprises. Pour en mesurer l’étendue, la comptabilité carbone est un passage obligé.

 

Dans cet article, nous aborderons la contribution du secteur du voyage d’affaires au réchauffement climatique, mais également la prise en main de cette problématique par les acteurs du secteur à travers la mesure des émissions de gaz à effet de serre.

 

Un impact climatique fortement déterminé par l’usage de l’avion

Selon une étude de l’ADEME, les voyages d’affaires représentent 9% des nuitées et des journées touristiques en France, mais sont responsables de 17% des émissions de gaz à effet de serre du secteur. En effet, les voyages pour motif professionnel ont en moyenne une intensité carbone (exprimée en kgCO2e par nuitée ou par journée) plus importante que celle des voyages pour motif personnel, et ce pour plusieurs raisons.

 

La première est que les séjours pour motif professionnel sont en moyenne plus courts, ce qui fait que les émissions du transport sont moins “amorties” sur la totalité du séjour. La seconde est liée à l’existence d’un poste d’émissions additionnel : l'événementiel d’affaires. En effet, les déplacements pour motif professionnel ont souvent pour objectif la participation à des salons professionnels ou des congrès dont l’organisation génère des émissions de gaz à effet de serre. Dans la suite, nous apportons des éclairages sur les 3 postes d’émissions les plus importants : le transport, l’hébergement et l’évènementiel d’affaires.

 

 

Comparaison de l’intensité carbone par type de tourisme (en kgCO2e/nuitée ou journée). Source: ADEME



 

  1. Le transport :

Ce n’est un secret pour personne : le transport pollue, en particulier quand celui-ci est basé sur des énergies fossiles. Selon le mode de transport principal choisi par le voyageur, cette phase du voyage peut peser plus ou moins lourd dans l'empreinte carbone. En effet, moins un mode de transport sera électrifié et partagé, plus son empreinte carbone sera importante. Ainsi, le transport sera de loin le plus grand contributeur aux émissions de CO2 si c’est l’avion qui est choisi.

 

Un rapide calcul sur le site impact CO2 permet de se rendre compte qu’un Paris-Barcelone en avion émet 90 fois plus que le même voyage en TGV (mais 18% de moins qu’en voiture individuelle). Ramené à une durée de séjour de 2 nuitées, ceci revient à une intensité carbone à 96 kgCO2e/nuitée (hors transport de liaison et transport local).


 

 

Émissions de gaz à effet de serre d’un trajet Paris-Barcelone. Source: www.impactco2.fr

 

Ceci étant dit, beaucoup de voyageurs d’affaires prennent l’avion. Le secteur est même l’un des plus gros marchés de l’industrie aérienne. En effet, selon l’ONG Transport & Environment, les voyageurs d’affaires peuvent représenter jusqu’à 75 % des bénéfices de certains vols. Et pour cause, les voyageurs d’affaires prennent plus souvent l’avion que les voyageurs de loisir. Ils représentent près d’un tiers du trafic aérien en Europe, mais seulement 12% des passagers à l’échelle du continent (10 à 20% à l’échelle mondiale).


 

  1. L’hébergement :

Bien que moins connues que celles des transports, les conséquences climatiques des séjours à l’hôtel existent bel et bien. En effet, l’hébergement est un service qui mobilise de nombreux flux de matière et d’énergie pour être réalisé. Par exemple, il nécessite le déplacement de personnel pour assurer le fonctionnement de l’établissement, requiert une consommation d’énergie pour le chauffage, l’éclairage et l’entretien des chambres, mais aussi la blanchisserie et la restauration. Selon l’étude de l’ADEME sur le tourisme en France, une nuitée dans un hébergement marchand (1) en France générerait en moyenne 6,9 kgCO2e. Cette valeur tient notamment compte de la construction et de la consommation énergétique des bâtiments, des biens et services achetés, ainsi que des déplacements domicile-travail des employés.

 

De manière générale, l’empreinte carbone d’une nuitée à l’hôtel dépend de nombreux facteurs, dont la localisation (et donc la nature de l’énergie utilisée), mais également la classe de confort de l’établissement. En effet, plus la classe sera élevée, plus le niveau de service sera élevé (chambres plus grandes, plus de personnel à disposition, etc), et plus les émissions de GES auront tendance à être également supérieures.

 

Par exemple, selon le calculateur carbone de Greenview, une nuitée dans un hôtel 5 étoiles générerait en moyenne 73,3 kgCO2e en Inde contre 3,1 kgCO2e en Suède. Une nuitée dans un hôtel 2 étoiles dans ce dernier pays ne générerait en moyenne que 0,6 kgCO2e. Ces valeurs sont déduites des données rapportées par un échantillon d’hôtels ainsi que des mixes énergétiques des pays.

 

Émissions de GES générées par une nuitée à l’hôtel dans différents pays. Source: www.hotelfootprints.org/


 

L'événementiel d’affaires :

Celui-ci comprend les événements d’entreprises, les salons, les congrès, les foires, etc. Ces différentes manifestations génèrent des émissions de gaz à effet de serre à différentes étapes de leur cycle de vie, à savoir :

  • La phase de préparation : celle-ci inclut le transport des organisateurs, le transport de marchandises, les achats de biens et de services pour la préparation de l'événement, etc.
  • Le déroulement de l'événement : celui-ci implique une consommation d'énergie pour le chauffage, la climatisation, l’éclairage, mais aussi l’animation et la restauration.
  • La phase post-événement : celle-ci couvre la gestion des déchets générés durant l’évènement, le démontage des infrastructures temporaires, etc.

 

À titre d’exemple, le salon professionnel Pro Durable dans son édition 2019 a généré 164 tonnes de CO2e (soit 19 kg de CO2e par participant), dont 93% provenaient du transport et de l’hébergement des 8 300 participants. A l’échelle d’un participant, ceci voudrait dire qu’en dehors de son transport et de son hébergement, la participation à cette édition du salon a généré 1,3 kgCO2e (dues à la consommation énergétique, au déplacement des professionnels, aux divers achats, au transport de marchandises et à la gestion des déchets). Cette valeur faible est caractéristique des évènements de grande ampleur où l’empreinte carbone totale ramenée à un individu est faible au vu du nombre important de participants.

 

Bilan Carbone 2019 du salon PRODURABLE. Source: PRODURABLE

 

Le calcul des émissions de GES : entre désaccord méthodologique et besoin d’harmonisation

 

Selon l’adage “what gets measured gets managed”, la première étape indispensable pour lutter contre le réchauffement climatique dans le business travel consiste à mesurer les émissions de gaz à effet de serre des voyages d’affaires. Que ce soit dans un souci de transparence, d’alignement avec les tendances du marché ou avec les recommandations des régulateurs, beaucoup d’acteurs du secteur se prêtent à l’exercice.

 

Selon une étude de Carbone4 réalisée pour l’ADEME, chaque partie prenante du secteur du voyage d’affaires fait son propre calcul des émissions de gaz à effet de serre pour la partie transport, que ce soit les SBT (1), les GDS (3), les transporteurs, les TMC (4), et même les clients finaux. Ces calculs se font selon différentes méthodologies, plus ou moins précises, mais globalement très hétérogènes. Ceci est symptomatique d’un manque de référentiel commun, mais également d’un manque de transparence.

 

À titre d’exemple, quand certains acteurs tiennent compte seulement du mode de transport et de la distance parcourue, d’autres considèrent également le type d’appareil. II en est de même pour la question des traînées de condensation pour les vols. Ces dernières ont un impact climatique susceptible de décupler l’empreinte carbone d’un vol d’un facteur 2, voire 3 et plus (selon la méthodologie et les hypothèses choisies, mais également selon l’altitude du vol en question). Pour autant, certains acteurs (notamment les compagnies aériennes ou certains GDS) n’en tiennent pas compte dans leur calcul.

 

L’information sur les émissions de CO2 est ensuite souvent accessible au moment de la réservation au niveau du SBT, mais également sur les sites des compagnies aériennes ou ferroviaires. Il s’agit même d’une obligation fixée par la réglementation française de l’information GES des prestations de transport, qui fournit également des guidances méthodologiques avec un objectif d’harmonisation. (5)

Concernant la partie hébergement, la mesure des émissions de GES est beaucoup moins développée, et ce pour plusieurs raisons :

 

D’abord, la plupart des calculs se basent sur les données de la Base Carbone de l’ADEME. Or, il n’y a pas de facteurs d’émissions associés aux séjours à l’hôtel. La base de données fournit néanmoins un ratio monétaire permettant de convertir les dépenses (en €) dans les services d’hôtellerie en émissions de CO2 à hauteur de 320 kgCO2e/k€ dépensé.

Ceci est également dû à une variabilité plus importante entre les différents types d’hébergements, ce qui rend difficile un calcul générique.

Enfin, le reporting des émissions de GES est sans doute moins développé dans le secteur de l’hôtellerie que dans celui des transports, mais des initiatives visant à collecter et centraliser ces données existent. C’est notamment le cas du Cornell Hotel Sustainability Benchmarking Index (CHSB),une initiative du secteur à l’échelle mondiale visant à collecter des données d’émissions de CO2 d’hôtels partout dans le monde et d’en faire une analyse statistique pour démocratiser la comptabilité carbone dans le domaine.

 

Enfin, l’enjeu de la mesure a connu une évolution début 2023 pour certaines entreprises en France. En effet, à la suite du Grenelle de l’environnement, la loi exige depuis 2012 de toute entreprise de plus de 500 collaborateurs (6) de faire son bilan GES et de le mettre à jour tous les 4 ans, sous peine d’une amende de 10 000 €. Si cette obligation concernait seulement les émissions de scope 1 et scope 2 au départ, celle-ci inclut également les émissions de scope 3 depuis le 1er janvier 2023, impliquant les voyages d’affaires. Ceci n’est pas anodin, car ces dernières peuvent représenter la majorité des émissions de scope 3.

 

Il est encore trop tôt pour mesurer les implications de ce changement de périmètre sur les méthodologies de comptabilité carbone, mais il se pourrait que celui-ci entraîne une volonté d’homogénéisation et de fiabilisation des calculs des émissions de gaz à effet de serre des business travels. Ceci étant dit, il est à noter que malgré les sanctions prévues, seulement 43% des entreprises obligées ont effectivement fait leur BGES en 2021, selon l’évaluation de l’ADEME. Ceci reflète le caractère non prioritaire du Bilan Carbone pour beaucoup d’entreprises au regard de l’effort déployé pour sa réalisation, et des sanctions encore trop faibles pour peser dans la balance.

 

Conclusion

Dans la lutte contre le réchauffement climatique, sujet à la fois transverse et technique, une mesure fiable et transparente des émissions de GES est une condition nécessaire.

 

Mais est-elle suffisante ? En effet, bien qu’il soit facile de tomber dans le piège de la recherche de la précision pour la précision, il est plus pertinent d’orienter sa réflexion vers les effets attendus par cette mesure. La question serait plutôt : quel est le bon degré de précision qui permettrait d’orienter les actions de décarbonation pour différents acteurs ? En effet, fournir une information fiable sur les émissions de CO2 ne suffit pas à déclencher une décision plus vertueuse pour l’environnement.

 

C’est là qu'apparaît l’importance des différents dispositifs qui pourraient être mis en place par les acteurs du business travel permettant de traduire ces informations GES en action. Ce sera l’objet du prochain chapitre de ce livre blanc.

1 Ce secteur comprend l’hôtellerie, l’hébergement de plein air et l’hébergement collectif (les résidences de tourisme, les résidences hôtelières, les villages-vacances, les auberges de jeunesse, etc.)

2 Self Booking Tool

3 Global Distribution Systems

4 Travel Management Companies

5- a ce jour, cette loi de prévoit pas de sanction en cas de non respect des directives

6 - En France métropolitaine

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