Les multiples appels au boycott des hôtels appartenant au sultanat posent beaucoup de questions.
Voilà un sujet difficile… faut-il ou non boycotter les pays qui introduisent la Charia, ou même les possessions à l'étranger des dirigeants qui l'imposent ? Après le rétablissement de la peine de mort pour les enfants aux Maldives (lire ici et là), c'est le sultan de Brunei qui relance les interrogations.
Le 30 avril dernier, le sultan Hassanal Bolkiah a en effet annoncé la mise en place progressive de la Charia dans son sultanat, entendue ici comme un version ultra-rigoriste de la loi islamique : amputation des voleurs, flagellation pour consommation d'alcool, ou encore lapidation pour des crimes divers sont au menu de cette nouvelle loi locale.
Or, le sultan de Brunei, l'un des hommes les plus riches du monde, possède de nombreux hôtels de luxe dans le monde, notamment le Meurice et le Plaza Athénée à Paris.
Le commissaire européen soutient le boycott
Alors que des associations se mobilisaient depuis des semaines, c'est la prise de position publique de François-Henri Pinault, président du groupe Kering (ex-PPR), qui a lancé la polémique au niveau mondial : il appelait les 31 000 salariés de Kering à boycotter les hôtels Dorchester dans une lettre ouverte publiée dans le Huffington Post.
Alors que plusieurs personnalités (Richard Branson, Anna Wintour…) l'ont rejoint dans cet appel, sa prise de position est aussi semblable à celle, plus sérieuse, des Nations Unies, qui ont fait part de leur "profonde inquiétude", et de l'ONG Human Rights Watch, qui a dénoncé des "châtiments moyenâgeux".
Même le commissaire européen en charge du Commerce, Karel De Gucht, a déclaré soutenir "la campagne de sensibilisation contre l'inacceptable loi sur la Charia, via le boycott des hôtels Dorchester par de nombreuses personnalités internationales".
Une position difficile à tenir
Sans doute échaudé par les réactions suscitées par la prise de position de son patron, le groupe Kering a, depuis, tenu à tiédir le propos : "La décision de boycott des hôtels de la chaîne Dorchester par le groupe Kering ne constitue pas une prise de position contre la Charia en général", a précisé son groupe à l'AFP ce week-end. Des investisseurs auraient-ils pris outrage des positions du groupe ?
Mais ceux pour qui cette décision de boycott est la plus difficile, ce sont les salariés du groupe. Il est vrai que le sultan risque d'être moins atteint que les 3 500 salariés des 10 hôtels Dorchester Collection.
"C'est de l'acharnement !"
Le Dg du groupe, François Delahaye, a vivement dénoncé les appels au boycott. "Je suis stupéfait de voir l'ampleur que cette affaire prend, c'est de l'acharnement", a-t-il déclaré à l'AFP. "Si on devait sanctionner tous les hôtels de prestige qui ont des capitaux là où sévit la Charia, il n'y aurait plus beaucoup d'hôtels de prestige où descendre !" Reste à comprendre que la Charia, en tant que loi islamique, inspire les constitutions de nombreux pays musulmans sans pour autant qu'ils pratiquent des châtiments corporels ou la peine de mort pour les enfants…
Lui aussi soucieux de tiédir son propos, François Delahaye a tenu a préciser qu'il n'était pas "en train de défendre la Charia, loin de là", tout en dénonçant les "réactions hypocrites" de certains… Tout le monde marche sur des œufs, et l'ensemble est bien compliqué.
C.R.